La Chambre territoriale des comptes sonne une nouvelle fois le tocsin. Sous les chiffres et les bilans budgétaires, elle révèle une administration calédonienne devenue tentaculaire, parfois opaque, souvent inefficace.
Une machine administrative massive, coûteuse et mal pilotée
Cette puissance publique, censée incarner la rigueur et la transparence, ressemble de plus en plus à un colosse administratif aux pieds d’argile.
Selon le rapport, la collectivité compte près de 1 950 postes budgétaires entre 2019 et 2024, dont 1 883 équivalents temps plein réellement pourvus. Mais 214 postes « fantômes » subsistent chaque année, preuve d’un pilotage RH défaillant.
Derrière la façade d’une croissance « maîtrisée », la CTC déplore un suivi erratique des effectifs et une information budgétaire lacunaire. Les livres de paie sont truffés d’erreurs, les états du personnel incohérents, et aucun bilan social complet n’est produit. Autrement dit, la collectivité navigue à vue.
L’institution recommande une stratégie RH à moyen terme, une dématérialisation des dossiers agents et un vrai plan de performance publique. En clair : moins de paperasse, plus d’efficacité.
Postes flous, primes douteuses et absentéisme chronique : le cocktail explosif
La CTC pointe des zones grises inquiétantes dans la gestion du personnel. Entre 2019 et 2024, plus de 70 « chargés de mission » ont été affectés au secrétariat général du gouvernement souvent sans mission claire. Certains, anciens membres du gouvernement, ont continué à percevoir des salaires sans activité réelle. La chambre évoque un préjudice financier pour la collectivité.
Même dérive pour les mises à disposition : 87 postes transférés en 2024, dont près de 30 % à titre gratuit, parfois sans convention légale. Une irrégularité manifeste, contraire à l’article 90 du statut des fonctionnaires.
Quant à la discipline interne, elle laisse songeur.
Aucune définition du temps de travail n’existe encore dans la fonction publique locale.
Les heures supplémentaires ne sont pas vérifiées, les congés sont régis par une mosaïque de textes désuets, et l’absentéisme atteint des sommets :
— 95 équivalents temps plein perdus chaque année pour maladie ;
— 11 ETP d’absences « autorisées » non justifiées.
Face à ce constat, la CTC salue le jour de carence adopté pour 2025, une mesure de simple bon sens dans une administration où le laxisme semble institutionnalisé.
Dépenses sous contrôle apparent, mais réformes urgentes
Les dépenses de personnel atteignent 15,6 milliards F CFP en 2023, soit 36 % du budget principal. Officiellement, elles sont en légère baisse depuis 2019.
Mais cette stabilité est trompeuse : l’État compense massivement via la prise en charge des enseignants (42 milliards F CFP). Sans cette aide, la masse salariale exploserait.
La CTC relève aussi un système indemnitaire illisible : primes sans base légale, avantages en nature mal encadrés et disparités entre institutions.
Certains agents bénéficient encore de logements ou de véhicules de fonction non justifiés par une nécessité de service. La chambre exige que ces avantages soient déclarés sur les bulletins de salaire, soumis à cotisation et à l’impôt.
Au total, neuf recommandations et six rappels du droit sont adressés :
— Créer un statut unique des collaborateurs de cabinet ;
— Encadrer les recrutements et les heures supplémentaires ;
— Rénover le régime indemnitaire pour le rendre plus équitable ;
— Rationaliser les congés et réduire les absences injustifiées ;
— Et surtout, rétablir la culture du mérite et du service public.
La province des Îles, un concentré des dérives locales
La province des Îles Loyauté, avec ses près de 700 collaborateurs, reflète à plus petite échelle les excès de la fonction publique calédonienne. La CTC y constate une administration surdimensionnée, un absentéisme élevé et une gestion des ressources humaines souvent floue. Les postes administratifs se multiplient, tandis que les services de terrain manquent cruellement de moyens.
Le rapport évoque une inflation des dépenses de personnel au détriment de l’investissement public et une culture du contrôle quasi absente. En clair, même aux Îles, le service public coûte cher sans toujours rendre service.
Derrière les chiffres, la CTC livre un message politique fort : l’argent public n’est pas une rente, mais une responsabilité.
Il est temps que la fonction publique calédonienne redevienne un levier d’efficacité, non un fardeau budgétaire.