Les grandes puissances aiment se donner bonne conscience avec des sommets internationaux.
Mais derrière les discours, la réalité des chiffres expose un monde fracturé comme jamais.
Le monde se fracture : un diagnostic implacable avant le G20
Le prochain sommet du G20, prévu à Johannesburg les 22 et 23 novembre 2025, s’ouvrira sur un constat brutal : le fossé entre les nations et au sein des sociétés n’a jamais été aussi profond. C’est ce que révèle un rapport commandé par la présidence sud-africaine, rédigé par un groupe d’experts internationaux sous la supervision du prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz.
Le document, remis le 4 novembre 2025, dresse une cartographie inquiétante : 83 % des pays représentant 90 % de la population mondiale affrontent des niveaux élevés d’inégalités de revenus. Plus encore, les inégalités de patrimoine, rarement mises en lumière dans le débat public, explosent littéralement.
Entre 2000 et 2024, les 1 % les plus riches ont capté 41 % de la richesse mondiale créée, quand la moitié la plus pauvre de l’humanité n’a reçu qu’1 %. Ce déséquilibre sidérant se retrouve aussi dans la distribution globale : les 10 % les plus riches détiennent désormais 54 % du revenu mondial et 74 % du patrimoine total.
Ce basculement n’est pas un simple phénomène statistique. Il entraîne une conséquence politique majeure : la lente disparition des classes moyennes, pourtant piliers des démocraties modernes. Dans des régions entières, cette érosion devient un facteur d’instabilité. Quand une minorité extrêmement fortunée concentre à la fois les richesses et l’influence, la tentation de peser sur les décisions publiques devient immense parfois au détriment de l’intérêt général.
L’effet domino est bien connu : des inégalités de revenus et de patrimoine viennent nourrir d’autres fractures — accès à la santé, à l’éducation, au logement ou à la justice. Des écarts qui, selon les conclusions du rapport, dépendent largement des politiques publiques mises en place ou… abandonnées.
Forces profondes, crises multiples : pourquoi les inégalités explosent
Les experts identifient deux grandes familles de facteurs qui alimentent cette dynamique inquiétante.
D’abord, des forces structurelles, inscrites dans la durée et difficilement réversibles : les innovations technologiques concentrées dans quelques pôles, la mondialisation qui profite d’abord aux économies les plus compétitives, ou encore la montée de secteurs hautement capitalistiques qui creusent mécaniquement les écarts.
Ensuite, des facteurs conjoncturels ont amplifié ce mouvement : la pandémie de Covid-19, qui a fragilisé les travailleurs précaires ; l’inflation post-pandémique, qui a laminé le pouvoir d’achat ; et les conséquences économiques de la guerre en Ukraine, qui ont accentué les disparités dans l’accès à l’énergie et aux matières premières.
Le rapport insiste sur un point souvent négligé : contrairement à certaines idées reçues, réduire les inégalités n’est pas un frein à la croissance, mais plutôt un moyen d’assurer une performance économique durable. Des classes moyennes robustes stabilisent la consommation, l’investissement et l’équilibre démocratique. Leur affaiblissement conduit mécaniquement à une économie sous-performante et plus vulnérable aux chocs.
La fiscalité internationale en cause : Stiglitz propose un choc de transparence
Le rapport pointe également l’un des angles morts de la mondialisation : un système fiscal international devenu obsolète, pensé pour un monde qui n’existe plus. Deux critiques sont formulées :
– il permet aux multinationales et aux individus très fortunés d’échapper largement à une imposition équitable ;
– il favorise la persistance voire l’expansion des flux financiers illicites.
Face à cela, les experts proposent deux réformes majeures.
La première : un registre mondial des actifs, véritable révolution en matière de transparence. Cet outil permettrait de suivre les patrimoines, de lutter contre l’évasion et peut-être de mettre en place un impôt minimal mondial spécifiquement destiné aux ultrariches. Une idée qui, si elle était adoptée, pourrait rebattre les cartes de la fiscalité globale.
La seconde : un impôt minimal mondial sur les multinationales, avec un taux plus élevé et débarrassé des multiples exemptions prévues par l’initiative actuelle de l’OCDE. L’objectif : empêcher que des géants mondiaux échappent à leur contribution dans les pays où ils génèrent pourtant le plus de valeur.
Enfin, le comité d’experts demande au G20 la création d’un Groupe international sur les inégalités (GII), inspiré du GIEC. Ce panel jouerait un rôle d’analyse et d’alerte auprès des gouvernements et institutions internationales.
À quelques jours de l’ouverture du sommet de Johannesburg, cette synthèse tombe comme un avertissement. Le monde est face à une fracture historique, et il appartient aux dirigeants du G20 de décider s’ils souhaitent la résorber ou se contenter de la commenter.
Le rapport Stiglitz ne propose pas de révolution idéologique. Il fixe un cap : restaurer un équilibre économique mondial en s’attaquant frontalement aux dérives fiscales, aux rentes et aux abus d’influence. Reste à savoir si les grandes puissances accepteront de regarder en face cette réalité et d’en tirer les conséquences.
Car une chose est sûre : les démocraties ne peuvent prospérer durablement si la classe moyenne continue de s’effriter. Et dans un monde en recomposition, ce choix sera déterminant pour la décennie à venir.















