Depuis plusieurs semaines, la ville de Nouméa fait face à une recrudescence d’observations de requins le long de son littoral. Les appels à la vigilance se multiplient, notamment de la part de la mairie, tandis que les usagers de la mer s’interrogent sur l’ampleur réelle du phénomène et les risques associés. Un contexte saisonnier défavorable, une présence accrue de grands squales et la nécessité d’adapter durablement les pratiques humaines pour limiter les risques.
Une hausse des observations dans un contexte saisonnier défavorable
Les autorités ont appelé à la vigilance après une série d’observations de requins le long des côtes de Nouméa. Pour les spécialistes, ces signalements doivent être pris au sérieux : les usagers réguliers du milieu marin identifient généralement correctement ce qu’ils voient.
Le début de l’été austral correspond à une période à risque, marquée par la présence accrue de grands requins tigres et bouledogues proches des côtes. Les données recensées jusqu’ici montrent que cette saison est celle où l’on enregistre le plus d’attaques. En l’absence de comptage précis des populations, il est aujourd’hui impossible de dire s’il y a objectivement plus de requins qu’auparavant, ce que le spécialiste regrette, estimant que ce suivi devrait être la base de toute politique publique sur le sujet.
Après les abattages, une reconstitution des populations autour de Nouméa
L’un des points marquants de l’analyse tient au retour de grands spécimens près de Nouméa, malgré la campagne massive d’abattage menée en 2023. Selon les spécialistes, il est très probable que les requins éliminés aient été remplacés par d’autres individus adultes venus occuper les territoires laissés vacants.
La biologie des espèces concernées plaide pour cette hypothèse : un requin tigre ou bouledogue met plusieurs années à atteindre l’âge adulte, ce qui exclut l’idée d’une croissance express de juvéniles déjà présents. Les mouvements de grands squales sont par ailleurs connus : ils peuvent rester longtemps dans une zone riche en nourriture, mais aussi parcourir des centaines de kilomètres. Des études de marquage menées ailleurs dans le Pacifique ont déjà démontré ce type de déplacements à longue distance.
Zones protégées, déchets en mer et pratiques humaines
À ce stade, les dispositifs de protection les plus efficaces restent les enclos anti-requins installés sur certaines plages de Nouméa. Ils sont conçus comme des espaces entièrement clos, dans lesquels un requin adulte ne peut pas pénétrer, ce qui en fait une solution jugée suffisante pour les baigneurs.
Les spécialistes estiment qu’une extension de ces zones sécurisées pourrait être étudiée, notamment à l’Anse-Vata ou dans la baie de Nouville, cette dernière étant connue pour la présence importante de requins. Parallèlement, la lutte contre les facteurs d’attraction d’origine humaine reste un enjeu central : rejets de déchets organiques, restes de poissons, pratiques de nourrissage depuis les quais. Malgré les efforts des opérateurs et des collectivités (comme la mise à disposition de seaux pour les plaisanciers), il considère que la prévention doit être poursuivie et renforcée.
Chasse sous-marine, pratiques à risque et spécificité calédonienne
Les chasseurs sous-marins restent, de loin, la catégorie la plus exposée, représentant environ la moitié des victimes d’attaques. Leur activité génère par nature un stimulus alimentaire qui attire les squales.
Pour l’ensemble des usagers, certains comportements classiques sont identifiés comme facteurs de risque : se baigner seul à l’aube ou au crépuscule, dans une eau trouble, près de rejets organiques. Mais la Nouvelle-Calédonie présente une particularité inquiétante : dans la majorité des attaques recensées, aucun de ces facteurs n’était présent. Des accidents mortels sont déjà survenus en pleine journée, par beau temps, dans une eau claire et sur des sites très fréquentés, comme l’Anse-Vata ou l’îlot Maître.
Un “hot-spot” mondial qui reste mal compris
Depuis les années 1980, le territoire a enregistré environ 80 attaques de requins, dont 18 mortelles. Rapportés au faible nombre d’habitants, ces chiffres placent la Nouvelle-Calédonie parmi les zones les plus touchées au monde, un véritable hot-spot du risque requin.
Une hypothèse avancée pour expliquer la concentration de grands prédateurs repose sur le statut de protection du lagon : les eaux calédoniennes pourraient jouer le rôle d’“oasis de biodiversité” dans un océan largement surexploité autour, attirant davantage de prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire. Cette piste reste à documenter, mais elle s’ajoute à un ensemble de facteurs potentiellement multiples et imbriqués.
Des études indispensables pour adapter les mesures de sécurité
Pour les spécialistes, la priorité scientifique est claire : compter les requins et mieux comprendre ce qui les attire spécifiquement dans les baies de Nouméa. Ils plaident pour une étude approfondie, à l’échelle locale, afin de quantifier les populations, identifier les facteurs attractifs (naturels et anthropiques) et ajuster les mesures de gestion du risque.
Ils rappellent également que, si le nombre d’attaques a diminué récemment à Nouméa, la situation reste stable à l’échelle du territoire, avec deux à trois attaques par an, dont certaines mortelles, notamment dans le Nord. Le risque requin ne peut donc pas être considéré comme un épisode ponctuel, mais bien comme une réalité durable avec laquelle il faudra composer.
Entre vigilance individuelle et responsabilité collective
En attendant des études plus poussées et d’éventuelles nouvelles solutions (surveillance par drones, dispositifs répulsifs pour certaines embarcations, élargissement des enclos), le message reste double : utiliser les zones de baignade sécurisées, respecter les consignes de prudence, éviter les secteurs identifiés comme sensibles, et réduire autant que possible les rejets de déchets organiques en mer.
La gestion du risque requin à Nouméa apparaît ainsi comme un équilibre fragile entre comportements individuels, décisions publiques, connaissance scientifique et respect d’un écosystème marin dont les grands prédateurs sont un élément central.

















