Le système éducatif calédonien dépend fortement de la France. En cas d’indépendance, la jeunesse pourrait en payer le prix fort.
Une souveraineté sans éducation : l’impensé du débat politique
En Nouvelle-Calédonie, les débats sur l’avenir institutionnel – indépendance, souveraineté partagée ou maintien dans la République – se multiplient. Mais derrière les discours idéologiques, un sujet fondamental reste trop souvent relégué à l’arrière-plan : l’avenir du système éducatif. Ce dernier repose aujourd’hui sur un dispositif décisif : la MADGG, ou Mise à Disposition Globale et Gratuite. Grâce à ce mécanisme, plus de 4 500 agents de l’Éducation nationale sont pris en charge financièrement par l’État français et mis à disposition du territoire sans contrepartie.
La situation est claire : sans la France, l’éducation calédonienne vacille. Envisager la fin de cette mise à disposition, c’est se confronter à une réalité brute : le territoire n’a ni les moyens humains, ni les moyens budgétaires pour prendre le relais. Et l’enjeu dépasse les chiffres. Il touche le cœur de l’avenir du pays : sa jeunesse.
Témoignage : « Je m’inquiète pour l’avenir de mes enfants, on ne joue pas avec l’éducation »
Je suis mère de trois enfants, deux au collège et un en primaire. Je vis à Nouméa, je travaille à mi-temps dans une petite entreprise, et comme beaucoup de familles ici, on fait déjà attention à chaque franc. Ce qui me fait peur, aujourd’hui, ce n’est pas la politique. Ce sont les conséquences concrètes, immédiates, qu’une rupture avec la France pourrait avoir sur l’école de mes enfants.
Si demain l’État français retire ses enseignants, si les programmes ne sont plus reconnus, si les diplômes ne valent plus rien en dehors du pays… qu’est-ce qu’on va leur laisser ? Est-ce qu’ils pourront encore aller à l’université ? Trouver du travail ailleurs ? Moi je veux qu’ils aient le choix. Et ce choix passe par une éducation solide.
On parle de souveraineté, de drapeau, de fierté. Très bien. Mais à quoi ça sert d’être souverain si on n’a plus les moyens d’assurer la scolarité des enfants ? Ce sont eux qui vont trinquer. On risque d’avoir des écoles vides, des profs non formés, des jeunes perdus. Et après, on s’étonnera qu’ils décrochent, qu’ils traînent, qu’ils s’en prennent aux autres ou à eux-mêmes. Moi, je veux qu’ils aient une chance, pas qu’ils servent de cobayes pour des idées politiques.
Tant qu’on ne nous dit pas clairement comment l’enseignement sera financé, organisé, reconnu… je resterai inquiète. Et je sais que je ne suis pas la seule. On veut la vérité. Pas des discours.
— Sylvie, 38 ans, Nouméa
La jeunesse calédonienne : grande absente des réflexions souverainistes
Dans les scénarios d’indépendance ou de souveraineté, on parle souvent de drapeau, de monnaie ou de diplomatie. Mais qu’en est-il des enfants, des adolescents, des étudiants ? Une jeunesse plurielle, souvent décrite comme « en crise », mais dont une grande majorité s’investit, étudie, travaille ou s’engage dans la vie sociale et associative.
Cette jeunesse mérite plus qu’un discours. Elle mérite un cadre éducatif stable, reconnu, exigeant. Or, ce cadre est aujourd’hui garanti par les normes, les programmes, les concours, les diplômes validés au niveau national. En cas de rupture avec la République française, que deviendraient ces garanties ? Qui définirait les nouveaux standards ? Quels diplômes seraient reconnus en métropole ou à l’international ? Les réponses manquent cruellement.
50 milliards de francs par an : un soutien vital impossible à remplacer
Le chiffre donne le vertige : la MADGG représente environ 50 milliards de francs CFP par an, soit un quart du budget du territoire. Ce n’est pas un simple dispositif administratif, c’est le pilier financier du système éducatif calédonien. Sans cet appui, le transfert de compétence voté en 2009 resterait un vœu pieux. Le personnel, la formation, l’évaluation, les concours : tout est encore structuré par l’État central.
Et pour cause : la MADGG est un dispositif dérogatoire, accordé par l’État français à une collectivité de la République. En cas d’indépendance, cette convention ne tiendrait plus juridiquement. Le ministère de l’Éducation nationale, déjà réticent à maintenir indéfiniment ce financement, ne verrait plus aucune raison de poursuivre cette mise à disposition gratuite dans un pays tiers.
Le risque est évident : une éducation à deux vitesses, inégalitaire, fragile, livrée à l’improvisation politique locale et au manque de ressources.
Témoignage : « Je me bats seul pour mon fils, et l’école c’est tout ce qu’il a »
Je suis père célibataire depuis que la mère de mon fils est partie il y a quatre ans. Il a 10 ans maintenant, il est en CM2 à Dumbéa. Moi je suis agent d’entretien, je travaille tôt le matin, je rentre tard le soir, et je fais tout pour qu’il ne manque de rien. Mais je ne peux pas tout lui donner. Ce qu’il a de plus précieux, c’est l’école.
Quand je l’entends me dire qu’il veut devenir vétérinaire ou ingénieur, je me dis que tout est encore possible pour lui. Mais si demain l’État se retire, si on ne peut plus garantir un vrai niveau à nos écoles, alors tout s’écroule. Moi je ne pourrai jamais lui payer des cours privés, ni l’envoyer en Australie ou en métropole pour étudier. Et sans diplômes reconnus, il va faire quoi ? Livreur ? Débrouillard ? Non. Il mérite mieux.
Je n’ai pas honte de dire que j’ai peur. Peur qu’on nous enlève ce filet de sécurité qu’est l’éducation publique. Peur qu’on joue avec l’avenir de nos enfants pour des débats d’adultes. Quand on élève un enfant seul, on ne pense pas en slogans. On pense à ce qu’il mangera demain, à s’il aura des profs à la rentrée, à s’il pourra faire sa vie plus loin que le quartier.
Je ne suis ni pour ni contre l’indépendance. Mais je suis pour que mon fils ait un avenir. Et ça, ça commence par l’école.
— Mickaël, 42 ans, Dumbéa
Souveraineté ou effondrement éducatif ?
Il est légitime d’aspirer à une pleine autonomie, voire à une indépendance. Mais pas au prix du sacrifice de l’éducation. Toute réflexion sur l’avenir institutionnel doit d’abord répondre à cette question fondamentale : comment garantir à chaque enfant calédonien une éducation gratuite, exigeante et reconnue, sans le soutien de la République française ?
À ce jour, aucune réponse sérieuse n’a été apportée. Tant que ce vide persiste, toute ambition souverainiste restera entachée d’une inquiétante hypocrisie. Car on ne construit pas un pays sans école. Et on ne prépare pas l’avenir en oubliant ceux qui y vivront.