Paris s’apprête à vibrer pour un mort qui n’a jamais cessé de gouverner les imaginaires.
Ce jour-là, la France officielle croyait solder le passé ; elle a réveillé une légende.
1840 : un retour voulu par l’État pour restaurer l’autorité
Le 15 décembre 1840, le cercueil de Napoléon Ier entre solennellement à Paris, près de vingt ans après la mort de l’Empereur à Sainte-Hélène, le 5 mai 1821. Ce retour n’est ni spontané ni sentimental : il est un acte politique pleinement assumé par le pouvoir en place.
À l’origine de l’initiative, Adolphe Thiers, président du Conseil, convaincu que la France ne peut durablement se construire en reniant son passé impérial. Sous la monarchie de Juillet, Louis-Philippe Ier cherche à restaurer le prestige de l’État, à se distinguer des règnes de Louis XVIII et de Charles X et à réconcilier une nation encore fracturée entre royalistes, bonapartistes et libéraux.
Les négociations sont menées avec le gouvernement britannique, détenteur du corps de Napoléon depuis son exil forcé. Londres accepte le transfert, soucieuse d’apaiser ses relations avec Paris dans un contexte de tensions diplomatiques liées à la question d’Orient. Le geste est diplomatique autant que symbolique.
L’expédition est confiée au prince de Joinville, fils du roi, accompagné du général Gourgaud, fidèle de l’Empereur, et de plusieurs témoins de l’exil : Bertrand et son fils Arthur, le fils de Las Cases, Marchand, Ali. À bord de la frégate La Belle-Poule, la France va chercher son chef.
De Sainte-Hélène aux Invalides : une épopée funèbre et nationale
Lorsque La Belle-Poule atteint Sainte-Hélène, l’émotion est intacte. Le corps de Napoléon est exhumé avec solennité, transféré avec respect, puis ramené par la mer jusqu’aux côtes françaises. Ce voyage de plus de 7 200 kilomètres devient un récit national, suivi avec ferveur.
Le 15 décembre 1840, Paris se couvre de noir et d’or. Le char funèbre traverse la capitale sous les acclamations. Sur son passage, près d’un million de Parisiens se pressent, crient, saluent, acclament. Beaucoup deviennent bonapartistes pour un jour, criant sans retenue : « Vive l’Empereur ! ».
Le cortège rejoint l’Hôtel des Invalides, haut lieu militaire et mémoriel. Le roi Louis-Philippe accueille lui-même la dépouille, signe que l’État reconnaît officiellement l’héritage napoléonien. Le cercueil est déposé provisoirement dans une chapelle du Dôme, en attendant l’achèvement du sarcophage monumental, qui ne sera inauguré qu’en 1861.
Ce retour n’est pas seulement un hommage. Il est une démonstration de continuité nationale, une façon de rappeler que la grandeur française ne s’excuse pas et ne se renie pas.
Un événement politique majeur : la résurrection du courant bonapartiste
Le principal bénéficiaire de cette opération est évident : le bonapartisme renaît. Ce qui devait être un geste de réconciliation devient un formidable catalyseur politique. En ramenant Napoléon à Paris, le pouvoir a réveillé une mémoire collective puissante, populaire, enracinée.
Huit ans plus tard, Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de l’Empereur, accède au pouvoir. Le lien est direct. Le 15 décembre 1840 marque la dernière grande date de l’épopée napoléonienne, après la naissance de 1769, le sacre du 2 décembre 1804, Waterloo en 1815 et la mort en 1821.
Napoléon, mort loin des siens, loin de son fils et de son pays, avait pourtant laissé un vœu clair, consigné dans le Mémorial de Sainte-Hélène :
Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé.
Depuis 1840, ce vœu est exaucé. Napoléon Ier repose à Saint-Louis-des-Invalides, au cœur de la nation qu’il a marquée à jamais. Ce retour n’a pas clos l’histoire impériale : il l’a inscrite définitivement dans la mémoire française, sans repentance ni effacement.

















