C’est devenu le sujet qui a écrasé tous les autres dans les « Coups de Gueule » : les factures d’eau anormales, parfois décuplées, tombent dans les boîtes aux lettres de Rivière-Salée et d’autres quartiers du Grand Nouméa. Et avec elles, un sentiment de trahison qui s’installe dans une population épuisée par un an de crise économique, de reconstruction post-émeutes et de hausse généralisée du coût de la vie.
Depuis deux semaines, les témoignages se multiplient et forment un tableau cohérent, alarmant : la confiance entre usagers et gestionnaires de l’eau est en train de se fissurer.
Des montants jamais vus dans un territoire où chaque franc compte
La Calédonie sort d’une année marquée par l’envolée des prix, la baisse du pouvoir d’achat et des milliers de familles fragilisées. Dans ce contexte, une facture d’eau n’est plus une simple échéance : c’est un élément vital du budget. Et c’est là que tout déraille. À Rivière-Salée, quartier populaire, densément habité, où de nombreux foyers vivent avec des revenus modestes, les montants annoncés donnent le vertige :
- 300 000 F pour un foyer de deux personnes,
- 500 000 F à 1 million pour d’autres habitants du même secteur,
- factures « classiques » à 10 000–12 000 F qui explosent soudain à 25 000–35 000 F.
Dans une commune comme Nouméa où le taux d’endettement des ménages grimpe chaque année, de tels chiffres ne sont pas que choquants : ils sont ingérables.
Les explications officielles ne tiennent pas
La justification avancée par les opérateurs est simple : les émeutes de 2024 auraient empêché les relevés pendant plusieurs mois, entraînant des estimations. Sauf que cette version ne résiste pas à la réalité du terrain :
- les compteurs sont à l’extérieur, souvent au niveau du trottoir,
- de nombreuses rues ont été accessibles dès juin,
- l’électricité, elle, a bien été relevée,
- et surtout : les versions changent à chaque rendez-vous.
On parle tantôt de fuites, tantôt d’estimations, tantôt de rattrapage de consommation…
Au point que les habitants n’y voient plus un problème administratif, mais une stratégie de facturation opaque. Dans un quartier comme Rivière-Salée, où les habitants ont déjà encaissé les coupures, les restrictions, les hausses de charges, cette impression de « payer pour les erreurs des autres » est explosive.
Un climat de suspicion nourrit par les nouveaux compteurs
Un agent, cité anonymement à l’antenne, lâche une phrase qui fait l’effet d’une bombe :
C’est depuis les nouveaux compteurs que ça déraille, vous ne pouvez pas imaginer le nombre de cas
Ce type de déclaration, même rapportée a suffi à déclencher une méfiance généralisée : les habitants se demandent désormais si les appareils installés depuis 2022-2023 ne comportent pas un défaut, une sensibilité excessive ou un calibrage contestable. Le problème n’est plus individuel : il devient structurel, ce qui appelle une réponse publique… qui tarde à venir.
Une population déjà éreintée par la vie chère
Depuis les émeutes, les familles cumulent : hausses de carburant, hausse des produits frais, augmentation de l’électricité, loyers qui grimpent, crédits plus difficiles à obtenir. Dans ce contexte, une facture d’eau qui explose n’est pas un simple incident : c’est l’étincelle à proximité d’un climat social déjà inflammable. Un auditeur l’a résumé avec une honnêteté brutale :
On ne travaille plus pour vivre, on travaille pour survivre
Un silence politique qui choque
Ce qui frappe, dans cette affaire, c’est l’absence. Absence de communiqué, absence de prise de position, absence de contrôles annoncés. Pour les auditeurs, c’est incompréhensible :
- Pourquoi aucun élu n’exige un audit immédiat ?
- Pourquoi ne pas suspendre les avis de coupure le temps de clarifier la situation ?
- Pourquoi les organismes n’apportent pas une explication unique, vérifiable, transparente ?
Ce qui n’était qu’une plainte individuelle devient une mouvance collective : appels à signer une pétition, volonté d’organiser un regroupement de quartier, demandes de médiation, incitations à documenter les compteurs via photos et relevés manuels.
Rivière-Salée n’est plus un cas isolé : des habitants de Robinson, Naisseline, Waho, Tindu et même Païta rapportent des anomalies similaires. La crise pourrait donc s’étendre.
Quand l’eau, symbole de vie, devient symbole de méfiance
La facture d’eau est devenue le miroir d’un malaise profond : un système qui manque de transparence, une population qui n’a plus confiance, et une crise sociale qui s’enracine. Dans un territoire où tout augmente, où les ménages sont sur le fil, où les institutions peinent à convaincre, toucher à l’eau revient à toucher à la stabilité sociale elle-même. Et tant que la lumière ne sera pas faite sur ces facturations anormales, une question continuera de résonner, de plus en plus fortement :
Comment peut-on demander aux Calédoniens de rester patients quand on leur envoie des factures qu’ils n’ont jamais consommées ?


















