Deux chiffres qui claquent, une promesse républicaine qui vacille.
Derrière les discours rassurants, le collège français perd des heures et les élèves avec.
Des chiffres officiels qui contredisent le discours rassurant
Le temps d’enseignement perdu est devenu un sujet de débat public, comme en témoigne la mobilisation croissante de parents d’élèves auprès des établissements, des rectorats et dans les médias. Alors que le remplacement des enseignants a été érigé en politique prioritaire du gouvernement en 2023, une part significative (9 %) des heures de cours obligatoires n’a pas été assurée dans les collèges publics en 2023-2024, un niveau légèrement en hausse par rapport à l’avant-crise sanitaire (2018-2019).
Saisie par la Défenseure des droits, la Cour des comptes a analysé le temps d’enseignement perdu par les élèves au collège, dans les secteurs public et privé sous contrat, entre 2018 et 2025. Elle identifie des contextes où le remplacement constitue un défi et souligne les risques d’iniquité pour les collégiens, en particulier les plus fragiles socialement.
Le constat est brutal, documenté, incontestable. Selon un rapport public thématique de la Cour des comptes, publié en décembre 2025, 9 % du temps d’enseignement prévu au collège n’est tout simplement pas assuré.
Un chiffre en légère baisse par rapport aux années post-Covid, mais en hausse par rapport à 2018-2019 preuve que les réformes annoncées n’ont pas tenu leurs promesses.
Dans les collèges de l’éducation prioritaire, la situation est encore plus préoccupante : 11 % des heures de cours disparaissent, frappant d’abord les élèves déjà les plus fragiles.
Contrairement au récit victimaire souvent servi, les causes sont identifiées : absences non remplacées, postes vacants, organisation administrative défaillante.
L’État le sait. L’État mesure. Mais l’État ne corrige pas suffisamment.
Absences, remplacements, désorganisation : un système à bout de souffle
Les heures perdues ne relèvent pas d’un phénomène marginal. Elles sont le produit d’un empilement de failles structurelles.
D’abord, les absences d’enseignants, en forte hausse depuis 2018, notamment pour raisons médicales (+41 % pour les congés de maladie ordinaire).
Ensuite, les absences dites « institutionnelles » : formations, réunions pédagogiques, jurys d’examens, sorties scolaires. Elles représentent près d’un tiers des absences de courte durée.
À cela s’ajoute une crise du recrutement devenue chronique : 13 % des postes du second degré n’étaient pas pourvus à la rentrée 2024. Certaines matières clés français, mathématiques, technologie sont particulièrement touchées.
Résultat : même quand l’argent est là, le professeur n’est pas au tableau.
La Cour chiffre le coût total des absences à 3,57 milliards d’euros (environ 428 milliards de francs CFP) par an, sans que cela ne se traduise par une amélioration significative du service rendu aux familles.
Inégalités territoriales et responsabilité de l’État : la ligne rouge est franchie
Le plus inquiétant n’est pas seulement le volume d’heures perdues, mais leur répartition profondément inégalitaire.
Certaines académies parviennent à remplacer plus de 95 % des absences longues. D’autres échouent, malgré des moyens comparables. Preuve que la qualité du pilotage compte autant que les ressources.
Dans les territoires ruraux isolés comme dans les zones urbaines sous tension, les élèves subissent une double peine : moins de professeurs, moins de remplacements, moins de continuité pédagogique.
Or, le droit est clair. Le Conseil d’État reconnaît depuis 1988 que l’État a l’obligation d’assurer l’enseignement des matières obligatoires, sous peine de faute lourde. Plusieurs familles ont déjà obtenu réparation pour « carence dans l’organisation du service public de l’enseignement ».
Le message est limpide : le temps d’enseignement perdu n’est pas une fatalité, mais un échec de pilotage.
La réponse passe par une meilleure mesure, une prévention assumée des absences, une organisation plus souple du travail enseignant et une information loyale des familles.
La Cour des comptes ne réclame ni slogans ni dépenses aveugles, mais des décisions structurantes, mesurables et datées.
À l’heure où l’école reste le socle de la cohésion nationale, continuer à tolérer ces heures perdues serait un renoncement politique.
Derrière les tableaux Excel, il y a une réalité politique : quand l’école ne fonctionne pas, c’est la promesse républicaine qui se fissure.
Et ce sont toujours les mêmes qui paient l’addition.


















