ENTRETIEN – Auteur du manifeste de la Double Reconnaissance paru en mai dernier, Thomas Piednoel publie le Double Corpus économique, un texte de 60 pages présenté comme un plan B pour la Nouvelle-Calédonie. Un document offert, libre d’accès et ouvert à la critique.
La Dépêche : Pourquoi publier ce Corpus maintenant ?
Thomas Piednoel : Parce que tout ce qui structurait la Calédonie depuis quarante ans s’effondre en même temps : la démographie, les finances, la confiance. Le Covid a révélé la fragilité du système, l’inflation l’a aggravée, la crise insurrectionnelle l’a mise à nu. Nous ne sommes plus dans une parenthèse, mais dans un changement d’époque. Il faut repenser le cadre avant que le vide ne s’en charge.
LD : En quoi ce texte s’inscrit-il dans la suite de la Double Reconnaissance ?
T.P. : La Double Reconnaissance posait la base politique : reconnaître deux peuples, deux droits, deux voies légitimes. Le Double Corpus en est la suite économique. La paix d’abord, la prospérité ensuite. Il propose une architecture concrète pour rendre ces deux voies viables. J’ai écrit ce plan au cas où tout foire, pour qu’il existe déjà un texte utilisable le moment venu. C’est un outil que chacun peut reprendre.
LD : Quelle est la situation réelle de l’économie calédonienne ?
T.P. : Nous vivons à 62 % de dépense publique dans le PIB calédonien, plus que l’URSS de 1953 sous Staline. Dans un territoire où les deux-tiers de la richesse créée finissent dans les caisses publiques, le pouvoir d’achat c’est d’abord l’argent que la collectivité ne vous prend pas. En vingt ans, la ponction fiscale par habitant a triplé, sans que l’école ou la santé ne triplent en retour. Le modèle fonctionne à crédit, et le crédit de la France est en train de s’épuiser.
LD : Qu’est-ce qui rend ce modèle intenable à vos yeux ?
T.P. : Cette année, l’Etat doit trouver 60 milliards d’euros pour rembourser les intérêts de sa dette, et 100 milliards en 2029. Nous sommes dans une trappe à dette. Dans ce contexte, croire que la Nouvelle-Calédonie pourra continuer à vivre sous perfusion est une illusion. Si nous ne nous adaptons pas, c’est l’effondrement.
LD : Pourquoi avoir découpé votre Corpus en “Calédonie française” et “Kanaky” ?
T.P. : Parce que c’est notre réalité. Il existe un peuple républicain, qui vit dans le droit commun. Il existe un peuple coutumier, qui vit selon le statut de droit coutumier. Le nier, c’est prolonger le malentendu.
La Double Reconnaissance et le Double Corpus s’adressent donc prioritairement aux futurs élus du Congrès pour le droit républicain, et aux chefs coutumiers, pour le droit coutumier. Deux rails pour un même pays : ensemble, ça respire ; séparés, ça s’effondre.
LD : Quelles sont les réformes cardinales côté Calédonie française ?
T.P. : D’abord, la baisse de 80 milliards de dépense publique pour ramener sa part à 53–54 % du PIB à l’horizon 2032, niveau soutenable. Ces 80 milliards de dépenses en moins, c’est un demi-million, soit deux mois de salaire médian rendus à chaque Calédonien. Ensuite, la fin de l’économie administrée et le retour à une culture pionnière : liberté, initiative, responsabilité.
Il faut aussi accueillir 30 000 actifs d’ici 2035 pour rééquilibrer notre démographie et sauver notre système social. Se rajoutent une fiscalité pro-investissement, et la réforme du transport aérien par un système de PSO (obligation de service public), pour baisser réellement le prix du billet. C’est le billet qui fait le tourisme, pas l’hôtel.
LD : Et côté Kanaky ?
T.P. : Côté Kanaky, le principe est simple : garantir des flux stables et transparents pour construire un véritable proto-État. Cela passe par trois leviers. D’abord, une part de reconnaissance prélevée à la source sur les transferts de l’État, directement affectée aux institutions de la Kanaky pour financer les établissements déjà existants qui relèvent de son autorité. Ensuite le programme Horizon Kanak : 1 500 jeunes envoyés chaque année à l’étranger pour se former et revenir meilleurs. Des redevances automatiques sur les ressources et concessions, ainsi qu’un point de TGC affecté à la paix.
L’ensemble forme une base pérenne : la Kanaky n’attend plus des aides exceptionnelles, elle dispose de revenus réguliers et d’outils pour bâtir ses propres institutions.
LD : Que répondez-vous à ceux qui diront que ce plan est trop radical ou irréaliste ?
T.P. : Ce n’est pas un programme électoral. C’est une architecture prête à l’emploi. Un nouveau dictionnaire pour les temps qui viennent. Chacun peut y prendre ou y critiquer une mesure. Mais au moins, c’est écrit, en accès libre, chiffré et cohérent.
LD : Craignez-vous que ce plan soit ignoré ?
T.P. : Il le sera très probablement. Mais si l’accord politique échoue et si la France coupe dans les transferts, il faudra un plan B. Alors ce jour-là, il sera déjà là. Je ne dis pas qu’il est parfait, mais au moins il est écrit. Un pays ne meurt pas faute de promesses, il meurt faute de plan.
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Le Double Corpus économique est disponible en accès libre sur Reconnaissances.nc.
Un texte offert, librement diffusable et ouvert à la critique. Une architecture plutôt qu’une solution miracle.