« La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres », rappelle d’emblée Maître Dupuy.
L’émission L’Instant juridique d’Océane FM a mis les pieds dans le jardin d’un sujet très concret : les troubles de voisinage. Qu’est-ce qu’un trouble « anormal » ? Comment le prouver ? Peut-on s’en exonérer ? Et que se passe-t-il lorsque c’est la commune qui fait des travaux nuisants ?
On va parler en fait de voisinage, avec une promesse : des repères clairs, sans jargon inutile… mais avec la rigueur du droit.
La réponse est oui : un juge peut sanctionner un trouble anormal
insiste l’avocat. À Nouméa comme à Koné, ce cadre protecteur existe. Il ne règle pas tout, mais « il oblige à l’équilibre » : l’intérêt général ne peut balayer l’intérêt des riverains d’un revers de main.
Le voisin n’est pas qu’à côté
le voisin n’est pas seulement celui qui partage votre clôture.
Une pollution peut être ressentie à des kilomètres, portée par le vent ou un cours d’eau. Autrement dit, la qualité de voisin s’apprécie à l’aune du trouble :
Dès lors qu’un phénomène parti d’un point A affecte réellement la vie d’autrui en B, le juge peut regarder ce lien comme un voisinage.
Cette approche pragmatique évite les arguties car le voisinage, c’est la réalité vécue, pas un tracé cadastral. Le juge a une conception très concrète des choses. En clair, si l’on respire un fumet agressif ou si l’on subit un battement sourd à 2 h du matin, la distance ne protège pas l’auteur du trouble. Ce qui compte, c’est l’incidence sur la vie normale.
Qu’est-ce qui est “anormal” ? Intensité, répétition, contexte
Vivre en société, c’est accepter des contraintes
cadre Maître Dupuy. Mais l’anormalité surgit quand « l’intensité est très forte » ou lorsque des nuisances « se répètent au point de désorganiser la vie quotidienne ».
Un exemple qui parle à tous : De la musique très forte pendant deux heures, c’est possiblement anormal, une musique moins forte mais chaque nuit à 3 h, c’est aussi anormal. Dans tous les cas, le juge raisonne comme une personne de bon sens.
Le contexte compte. Il y a la ville… et la campagne, des animaux peuvent générer des nuisances sonores, olfactives, visuelles : meuglements, coqs, épandages. On ne décide pas dans l’absolu : on regarde où l’on vit et comment.
Un régime protecteur de la victime : pas besoin de prouver une faute
La responsabilité pour trouble de voisinage « peut naître sans intention de nuire ». Traduction pratique : « La victime n’a pas à démontrer un manquement volontaire ; elle doit faire constater le trouble. »
Concrètement, « constats, mesures, témoignages » : tout ce qui objective l’atteinte compte.
Des cris toute la nuit ? Des vibrations répétées ? On en fait constater la réalité et la durée
détaille l’avocat. Cette règle protège ceux qui subissent. C’est un régime protecteur de la personne affectée. La preuve, oui ; la mauvaise intention, non.
S’exonérer ? La “préoccupation” : j’étais là avant, je respecte les règles, je n’ai pas aggravé
La porte n’est pas fermée à l’auteur du trouble : Il peut s’exonérer par la préoccupation. « Préoccupation » ? Pas l’anxiété : l’antériorité d’occupation.
Trois conditions cumulatives :
« J’étais là avant », « je respecte les normes applicables », « je n’ai pas aggravé le trouble depuis l’arrivée du voisin ».
L’exemple agricole est parlant : « Une exploitation régulière existait ; un nouvel arrivant s’installe à proximité et découvre odeurs et bruits ». Si tout est aux normes et inchangé, « la responsabilité peut être écartée ».
C’est la clé pour que tout le monde trouve sa place. Un équilibre, pas un permis de nuire.
Réparer en nature… ou en argent
Deux voies principales. D’abord la réparation en nature : « On fait cesser la cause du trouble ». Cela peut aller de « travaux d’isolation » au « changement d’un matériel », voire à la modification d’horaires. Dès lors qu’on concilie l’activité et la paix du voisinage, le juge y est attentif.
Ensuite, « l’indemnisation » : remboursement des « dépenses engagées » par la victime, et réparation du préjudice moral.
Être réveillé tous les matins à 2 h, ça use. On répare la maison… et l’humain.
Nouvelle-Calédonie : un droit civil vivant, une codification hexagonale récente
En Nouvelle-Calédonie, notre régime repose sur les règles du droit civil appliquées par les magistrats. Dans l’Hexagone, une codification récente a synthétisé la jurisprudence.
Conclusion pratique : Ici, on raisonne au cas par cas, avec des repères constants. Le bon sens au service de la protection des riverains.
Quand la puissance publique travaille près des maisons : l’épreuve de l’enquête
Changement d’échelle. Et si c’est la commune qui installe une décharge à côté d’un lotissement ? On fait le lien entre droit privé et droit public.
La personne publique « poursuit une mission de service public », mais cette finalité « est aussi une limite ». « On ne balaie pas les riverains ». D’où des enquêtes publiques et études d’impact en amont : On écoute les doléances, on adapte le projet, on modifie le tracé… voire on renonce si l’atteinte est disproportionnée.
C’est une médiation qui ne dit pas son nom. On concilie intérêt général et droits des habitants.
La méthode “pratico-juridique” : documenter tôt, parler juste, escalader si besoin
Avant le juge, il y a le dialogue. Mais un dialogue qui s’écrit.
Étape 1 : « Constater » : mesures sonores, photos, relevés d’horaires. Plus c’est objectif, plus c’est utile.
Étape 2 : « Notifier poliment, mais fermement » : un courrier clair, daté, descriptif. On propose des aménagements.
Étape 3 : « Médiation ou conciliateur », pour déminer. On privilégie les solutions en nature.
Étape 4 : « À défaut, action en responsabilité », avec demandes « de cessation et d’indemnisation ».
Toujours une résolution amiable si possible mais efficace si nécessaire.
Ville, brousse, littoral : des équilibres différents, une logique unique
« La ville tolère moins de bruit nocturne », note l’animatrice. « La campagne accepte certains sons et odeurs, dans la limite du raisonnable », enchaîne l’avocat. Sur le littoral, une pompe, un chantier nautique, des fêtes peuvent être licites… « s’ils restent mesurés et compatibles avec la vie des voisins ».
La boussole ne change pas : « Intensité, répétition, contexte », répète Maître Dupuy. « Et le réflexe : mesurer, dater, dialoguer. »
Quand “tout est légal” mais “tout n’est pas acceptable”
Respecter des normes ne rend pas intouchable. Un dispositif dans les clous peut devenir anormal s’il désorganise la vie du voisin par sa fréquence ou ses horaires.
Le droit protège la vie normale. La proportion fait la décision.
Le message politique sous-jacent : autorité, responsabilité, prévisibilité
D’abord l’autorité : « Un juge peut interdire et sanctionner, le droit protège. Ensuite la responsabilité : « L’auteur peut adapter son comportement », souvent à moindre coût comparé au conflit. Enfin la prévisibilité : « Les enquêtes publiques ne sont pas un rituel ; ce sont des pare-chocs démocratiques. » Autrement dit, « qui anticipe gouverne mieux ».
Dans un territoire sous tension, c’est une boussole : « L’intérêt général ne triomphe que s’il convainc les riverains », devrait-on répéter dans nos mairies.
Le droit du voisinage n’est ni un prétexte pour tyranniser ses voisins, ni un bouclier pour ceux qui dérangent.
Il protège la vie normale
répète Maître Dupuy : un cap pour juger l’anormalité, et des outils pour y mettre fin. Aux collectivités, un rappel simple : « L’enquête publique n’est pas une formalité, c’est un contrat moral avec les riverains. » Aux particuliers, un réflexe : « Mesurez, écrivez, proposez ; et si besoin, saisissez. »
Vous vivez un trouble ? « N’attendez pas », conseille l’avocat : « Plus tôt on documente, plus vite on résout. » À chacun d’assumer sa part, pour que la liberté des uns rime enfin avec la tranquillité des autres.















