Trente ans de décentralisation plus tard, la machine cale en Nouvelle-Calédonie. Autonomie juridique, charge financière, difficultés humaines : les transferts promis par l’Accord de Nouméa atteignent leurs limites pratiques.
Un transfert massif, mais inachevé
La loi organique de 1999 met en œuvre le volet institutionnel de l’« Accord de Nouméa » : des compétences de l’État sont progressivement confiées à la Nouvelle-Calédonie. Le principe est clair : irréversibilité du transfert, responsabilisation des institutions locales, accompagnement par l’État.
Trois blocs de compétences sont identifiés : celles transmises dès la signature, celles échelonnées entre 2004 et 2014, et enfin les transferts optionnels de l’article 27. En 2020, l’UC-FLNKS et Nationalistes avaient déposé sur le bureau du Congrès une résolution visant à transférer les compétences mentionnées dans cet article de la loi organique (contrôle de légalité, audiovisuel, enseignement supérieur).
Une initiative vivement contestée par L’Avenir en confiance, qui y voyait un projet d’exclusion et une dérive vers l’anarchie.
En pratique, des secteurs entiers sont passés sous tutelle locale : éducation (hors université), droit civil et commercial, sécurité civile, circulation maritime et aérienne, agences culturelles, centre pédagogique, OPT…
Mais l’achèvement du processus se heurte à la fois à des blocages politiques (ex : audiovisuel ou enseignement supérieur) et à des difficultés techniques. L’État continue donc de jouer un rôle dans l’appui juridique, les conventions et même en cas de défaillance locale.
Autonomie assumée… mais à quel prix ?
La Nouvelle-Calédonie dispose aujourd’hui d’un statut quasi fédéral. Le Congrès vote des lois de pays qui ont valeur législative. À l’intérieur de ses compétences, le territoire peut donc modifier le droit civil, le droit du travail, l’organisation scolaire ou les règles commerciales. Mais le bât blesse : le droit calédonien se « cristallise », faute d’expertise suffisante pour produire des règlements actualisés.
En éducation, le transfert a été réalisé… sans les moyens financiers. Il a fallu la mise à disposition gratuite (MADGG) par l’État du personnel pour que les lycées et collèges continuent à fonctionner. Plus de 50 milliards FCFP/an sont ainsi pris en charge par la France, sans date de sortie prévue.
Idem en sécurité civile : la compétence est locale, mais l’équipement et la logistique dépendent encore largement des communes ou de l’État. Faute de moyens, un établissement public unique n’a même jamais vu le jour. Une direction de la sécurité civile qui, en 2025, connaît des remous, avec l’éviction de son directeur : un homme compétent, écarté alors qu’il avait été mis à disposition par l’État.
Alors que le territoire manque de ressources humaines pour diriger des structures hautement sensibles, l’exécutif local préfère évincer un professionnel qualifié.
Souveraineté interne, dépendance externe
L’équation calédonienne est paradoxale : plus autonome que la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie est aussi plus dépendante de l’État. Elle exerce une souveraineté interne presque totale, mais n’a ni les moyens budgétaires ni humains d’assumer seule ses compétences.
Le public s’y perd. Il reproche à Paris ce qui relève de Nouméa, tandis que les collectivités locales pointent le régalien pour justifier leur inaction. Dans la pratique, le partage des responsabilités est flou, et les transferts deviennent souvent des coquilles vides.
Enfin, l’article 27, censé clore le cycle, reste un angle mort. L’éclatement politique, l’absence de volonté commune et les incertitudes juridiques bloquent les derniers transferts. La fin de l’Accord de Nouméa ne résout rien si l’on ne dresse pas un vrai bilan : celui de la capacité du territoire à assumer l’autonomie qu’il revendique.