La crise de 2024 n’a pas seulement paralysé l’économie calédonienne : elle a révélé la fragilité d’un modèle communal trop dépendant des dotations publiques.
Et pourtant, malgré la tourmente, les communes ont tenu ferme, portées par une gestion rigoureuse et un sens aigu du service public.
Un choc budgétaire sans précédent pour les communes
Le rapport de l’AFD tombe comme un verdict attendu : 2024 restera une année de rupture pour les finances des communes de Nouvelle-Calédonie. Après une année 2023 marquée par un regain d’activité et une reprise de l’investissement, la crise est venue briser d’un coup net cette dynamique fragile. Les dotations et participations première source de revenus des communes ont chuté de 16,5 %, entraînant dans leur sillage les recettes fiscales et les recettes d’exploitation.
Les émeutes de mai 2024 ont accentué un choc déjà engagé, plongeant les communes dans une situation financière tendue, parfois critique. Pourtant, nuance l’AFD, « la situation se révèle moins dégradée qu’anticipée », comme le souligne son directeur, Thomas de Gubernatis. Non pas parce que la crise aurait été moindre, mais parce que les communes ont réagi avec une discipline budgétaire que l’on n’observe généralement qu’en période de guerre économique.
Dans les faits, ce sont 45,9 milliards de francs seulement qui ont alimenté les recettes réelles de fonctionnement en 2024, soit 7,3 milliards de moins que l’année précédente. À travers ce chiffre s’exprime tout le problème : l’effondrement des prélèvements fiscaux réalisés par la Nouvelle-Calédonie a provoqué un effet domino sur les budgets communaux.
La conséquence est claire : l’épargne s’érode, les marges s’amenuisent, et les communes ne peuvent plus jouer leur rôle de moteur économique, notamment via la commande publique ou l’investissement. Pour un territoire où les collectivités locales structurent l’économie de proximité, c’est un signal d’alarme majeur.
Et pourtant, face à cet engrenage, les communes n’ont pas cédé. Elles ont opposé une réalité que l’AFD qualifie de « maîtrise exemplaire des dépenses ». Les charges courantes ont été réduites de 3,5 milliards, les dépenses de fonctionnement ont baissé entre –9 % et –12 %, et même la masse salariale a reculé de 300 millions.
Associations : l’amortisseur social sous pression
Dans cette crise, les associations ont agi comme un pilier essentiel du maintien du lien social. Pascal Vittori, maire de Boulouparis, le rappelle :
Les associations ont maintenu la cohésion quand tout vacillait.
Elles comptent pour près de 5 % de l’emploi salarié, génèrent une activité économique réelle et interviennent dans tous les secteurs fragilisés par la crise : jeunesse, solidarité, culture, sport, prévention.
L’AFD note que 100 % des communes interrogées continuent d’octroyer des subventions. Même en période d’austérité, elles n’ont jamais cessé d’apporter un soutien matériel ou financier aux associations. Mais cet engagement ne suffit plus : celles déjà fragiles avant mai 2024 sont désormais en grande difficulté.
Les perspectives sont sombres. Les ressources des associations pourraient encore baisser de 13 % dans les années à venir. Le rapport est sans appel : 94 % des associations ont été affectées par la crise, dont 78 % très sévèrement. Leurs dotations publiques ont chuté de 963 à 733 millions sur l’ensemble du territoire.
Malgré cela, leur activité n’a jamais cessé. Le Collectif des associations rappelle que ces structures ont remplacé des services publics locaux affaiblis, assumant parfois des missions relevant normalement de la puissance publique. Quentin Retali parle même d’un engagement bénévole poussé à l’extrême :
À un moment, le bénévolat ressemble à de l’esclavage si on ne fait que ça.
Les associations jouent aussi un rôle d’insertion essentiel, accueillant des jeunes salariés, des personnes en situation de handicap ou des publics éloignés de l’emploi. Mais leur modèle repose sur un équilibre très fragile : sans visibilité, sans conventions pluriannuelles, sans stabilité budgétaire, elles risquent l’épuisement.
2026 sous tension : communes affaiblies, avenir incertain
Pour 2026, l’AFD ne cache pas son inquiétude : la situation ne devrait pas s’améliorer. Les communes ne disposent plus des moyens nécessaires pour relancer l’investissement. Et, comme si cela ne suffisait pas, la période électorale à venir risque de figer de nombreuses décisions budgétaires pourtant essentielles.
Un dispositif de solidarité républicaine apportera bien 2,5 milliards de francs aux communes pour soutenir les associations et les outils sociaux. Mais cette bouffée d’air est temporaire : elle s’arrête en 2026, sans aucune garantie pour l’après.
L’étude suggère néanmoins plusieurs pistes pour éviter l’effondrement du tissu associatif :
• stabilisation du financement via des conventions pluriannuelles ;
• formation et renforcement du statut local du bénévole ;
• aides matérielles mieux organisées ;
• autonomisation accrue des structures.
L’analyse de Thomas de Gubernatis est sans équivoque : les associations sont un amortisseur social vital, mais elles ne pourront pas continuer à absorber seules les chocs successifs. Les communes, quant à elles, demeurent le premier rempart républicain, celui qui protège, organise et maintient la cohésion lorsque tout le reste vacille.
À travers ce rapport, une vérité s’impose : quand l’État recule, les communes avancent. Et si l’on veut éviter qu’une nouvelle crise ne brise définitivement ces piliers locaux, il faudra enfin leur donner les moyens d’agir.


















