Le renoncement du gouvernement à présenter, comme prévu, le projet de loi organisant la consultation anticipée sur l’accord de Bougival a ravivé un vieux soupçon en Nouvelle-Calédonie : celui d’un État faible, prompt à reculer dès que la menace de nouvelles violences plane. Le député loyaliste Nicolas Metzdorf, soutien assumé de l’application de Bougival, voit dans ce nouveau revirement une dérive politique lourde de conséquences : institutions bloquées, partenaires tétanisés par le FLNKS, classe politique locale divisée, horizon institutionnel repoussé vers 2027–2028. Et il prévient : pour les Loyalistes, hors de question d’aller au-delà de Bougival vers une quelconque formule d’indépendance-association.
Un État jugé faible face à la menace de nouvelles violences
Pour le député, le cœur du problème est désormais à Paris. Depuis les violences du 13 mai 2024, le Parlement serait pétrifié dès qu’il s’agit de Nouvelle-Calédonie. La majorité présidentielle est prête à suivre la ligne défendue par les Loyalistes, mais elle ne dispose plus des voix nécessaires pour faire passer la loi encadrant la consultation. Sans le soutien des Républicains, du Rassemblement national et du Parti socialiste, l’exécutif ne peut plus garantir un vote favorable.
Cette absence de majorité a conduit le gouvernement à retirer le texte avant même de le présenter en Conseil des ministres. Aux yeux de Nicolas Metzdorf, ce choix illustre une forme de renoncement : plutôt que d’assumer un débat public et un vote clair, l’exécutif aurait préféré éviter une confrontation qui aurait mis en lumière les partis « tétanisés » par la peur de nouvelles émeutes en cas de boycott du FLNKS.
Dans cette lecture, chaque recul de l’État depuis des années suit la même logique : la loi sur le dégel du corps électoral abandonnée après les violences, les scénarios d’indépendance-association remis sur la table par Paris, puis finalement repoussés grâce à la contre-offensive des non-indépendantistes, avant de déboucher sur Bougival… que l’État renonce désormais à faire trancher par le peuple. Pour Metzdorf, c’est le signe d’un État qui recule systématiquement devant les plus radicaux, et qui envoie un signal désastreux : la violence paie.
Bougival fragilisé par les renoncements à Paris et les revirements locaux
Officiellement, l’accord de Bougival reste sur la table. Dans les faits, sa mise en œuvre est de plus en plus incertaine. Le vote du Congrès de la Nouvelle-Calédonie sur l’avis relatif au projet de loi a montré un paysage politique fracturé : 19 voix pour, 19 abstentions, 14 contre. Le député loyaliste considère pourtant que cet avis est favorable, puisque le camp non-indépendantiste a soutenu le texte, tandis que les forces centristes ou nationalistes ont choisi l’abstention et que les indépendantistes les plus radicaux ont voté contre.
Pour les Loyalistes, la ligne est simple : appliquer Bougival, rien que Bougival, mais tout Bougival. Cela signifie, selon eux, respecter les trois référendums déjà organisés, organiser des provinciales avec un corps électoral adapté conformément à l’accord, et tenir les engagements signés à Paris. Toute tentative de renégociation à la hausse des revendications indépendantistes est perçue comme une remise en cause de l’équilibre arraché de haute lutte.
Les propositions de l’UNI visant à renforcer les mécanismes d’autodétermination sont, dans cette logique, inacceptables. Là où le mouvement indépendantiste autonomiste présente ces ajustements comme de simples améliorations, Metzdorf y voit un changement de nature : les garde-fous de l’État sur le transfert des compétences régaliennes seraient affaiblis, le veto de l’État contourné, et la route vers la souveraineté accélérée. Pour les Loyalistes, ce n’est plus une clarification de Bougival, mais une réécriture du texte au bénéfice de l’indépendance.
Une classe politique calédonienne accusée d’être guidée par la peur
Le député ne réserve pas ses critiques à Paris. Il vise également une partie de la classe politique calédonienne, notamment certains partis non-indépendantistes ou autonomistes qui, selon lui, auraient « lâché » Bougival par crainte d’un embrasement.
Des formations comme Calédonie ensemble ou L’Éveil océanien, qui ont pourtant signé l’accord, seraient aujourd’hui tentées de s’en éloigner à mesure que le FLNKS s’en retire. La brèche ouverte par le Palika, favorable à une renégociation, a selon lui permis à ces partis de justifier un recul pour éviter le pire, quitte à fragiliser l’ensemble du dispositif.
Dans ce schéma, un risque se dessine : celui d’une Calédonie plus autonome sur le papier, mais toujours sous perfusion financière de l’État, et surtout d’un territoire qui donnerait le sentiment de céder systématiquement à la pression de minorités prêtes à recourir à la violence. Metzdorf insiste sur l’enjeu de long terme : une société où la peur dicte la décision politique serait, selon lui, condamnée à l’instabilité permanente et à la défiance généralisée envers les institutions.
Paris cherche une issue, les Loyalistes posent leurs conditions
Face à l’impasse parlementaire, l’Élysée tente désormais de reprendre la main. Le président de la République envisagerait de convoquer l’ensemble des forces politiques calédoniennes à Paris mi-janvier, pour tenter de trouver une nouvelle voie de sortie. Rien n’est officiellement confirmé par communiqué, tout se jouant pour l’instant par coups de fil.
Les Loyalistes, eux, ont fixé leur cadre : ils participeront à ces discussions si – et seulement si – l’objet est l’application stricte de Bougival. Toute tentative d’ouvrir le chantier d’un accord allant plus loin, notamment vers des formules d’indépendance ou d’association renforcée, serait rejetée. Le message est clair : ils sont prêts à dialoguer, mais pas à re-négocier le fond politique qui, à leurs yeux, a déjà été tranché.
Dans le même temps, une délégation du FLNKS est à Paris, conduite par son président. Pour Metzdorf, la question est désormais de savoir si l’État accordera à ce déplacement une légitimité politique supplémentaire en recevant ses représentants au plus haut niveau. Le député loyaliste a d’ores et déjà fait connaître sa réticence à une telle audience, symbole à ses yeux d’un déséquilibre entre ceux qui ont respecté le cadre démocratique et ceux qui ont contesté les résultats des référendums.
Relance économique, nickel et Matthew & Hunter : les autres fronts de la colère
Au-delà du dossier institutionnel, le député loyaliste juge la politique de l’État ambiguë sur les autres dossiers clés pour la Nouvelle-Calédonie.
Sur le plan de relance, il distingue deux volets. Les mesures en faveur des entreprises – baisse de l’impôt sur les sociétés, réflexion sur une zone franche – sont perçues positivement, car elles peuvent, selon lui, redonner envie d’investir sur le territoire et améliorer l’attractivité économique. À l’inverse, le soutien aux collectivités est jugé largement insuffisant : les montants annoncés seraient en partie constitués de crédits déjà prévus et simplement reportés, le reste demeurant sous forme de prêts qui continuent d’alourdir l’endettement local. L’État, estime-t-il, se contente de « prêter » là où il devrait « compenser » après les émeutes.
Le calendrier fixé pour rediscuter du nickel au premier semestre apparaît aussi décalé face à l’urgence des entreprises minières et métallurgiques. Les acteurs comme Prony Resources, ou la SLN ont besoin de visibilité rapide, pas d’un débat repoussé dans le temps.
Autre point de crispation : l’ouverture de discussions entre la France et le Vanuatu sur les îlots de Matthew et Hunter. Pour Metzdorf, ces territoires doivent rester français, sans ambiguïté. Le simple fait d’imaginer une négociation sur leur souveraineté symbolise, selon lui, la dérive d’un État qui se montre conciliant sur les sujets régaliens dans le Pacifique, tout en adoptant une attitude beaucoup plus ferme lorsqu’il s’agit de répondre aux protestations d’autres catégories, comme les agriculteurs en métropole.
2027–2028 en ligne de mire : le scénario du blocage institutionnel
Derrière ces affrontements politiques, une question centrale demeure : que se passe-t-il si Bougival n’aboutit pas ?
Dans l’analyse de Metzdorf, le risque est clair : sans accord validé rapidement, le territoire entre dans une zone de turbulences jusqu’aux présidentielles de 2027, voire au-delà. Un nouveau gouvernement, issu de ce scrutin, devrait alors tout reprendre à zéro, proposer un autre texte, peut-être en 2028. Pendant ce temps, la Nouvelle-Calédonie resterait dans une forme d’entre-deux institutionnel, défavorable à la relance économique et à la stabilité politique.
Les élections provinciales sont au cœur de ce piège. En l’absence d’accord, elles seraient organisées avec un corps électoral gelé, ce que refusent les Loyalistes. Pour eux, si l’État décide de convoquer les électeurs, il doit parallèlement assumer le dégel du corps électoral, conformément à la dynamique voulue à l’origine. Sans cela, le scrutin serait juridiquement possible, mais politiquement contesté, ouvrant la voie à de nouvelles tensions.
Dans cette perspective, la stratégie des Loyalistes apparaît comme une ligne de crête : maintenir la pression pour que l’État tienne sa parole sur Bougival, tout en annonçant d’ores et déjà qu’ils bloqueront au Parlement tout texte qui irait plus loin vers l’indépendance ou l’association renforcée.
Une offensive politique assumée à Paris comme sur le terrain
Pour peser dans cette bataille, le député loyaliste s’appuie sur un atout : le soutien très solide d’une large part du groupe macroniste à l’Assemblée nationale. Renaissance, épaulé par le MoDem et Horizons, peut encore faire la différence dans de nombreux votes, à condition de rester uni.
C’est dans ce contexte que la venue annoncée de dix députés de ce groupe en Nouvelle-Calédonie, début janvier, prend tout son sens. Le déplacement est présenté comme un moyen de « tenir les troupes » à Paris : en confrontant directement ces parlementaires à la réalité du terrain – Nouméa, la brousse, les mines, l’agriculture, le tourisme, les entreprises – Metzdorf entend ancrer durablement leur soutien à la Nouvelle-Calédonie française.
L’objectif est double : consolider la ligne pro-Bougival au sein de la majorité présidentielle, et rappeler à l’État qu’une partie de ses élus refuse la fuite en avant institutionnelle. Pour les Loyalistes, ce soutien parlementaire n’est pas un luxe, mais une condition de survie politique dans un contexte où l’exécutif est tenté par les compromis successifs.
Un choix stratégique : valider Bougival ou prolonger l’instabilité
Au final, la lecture de Nicolas Metzdorf est tranchée. La Nouvelle-Calédonie serait au pied du mur, avec un choix binaire :
- soit valider définitivement l’accord de Bougival, en assumant la consultation anticipée et les ajustements nécessaires au corps électoral,
- soit repousser, encore une fois, la décision, en s’en remettant à un futur gouvernement en 2027–2028, avec le risque d’une dérive vers d’autres scénarios institutionnels et d’une instabilité prolongée.
Pour le député loyaliste, la sortie par le haut passe par une chose : le respect de la parole donnée. Respect des référendums déjà tenus, respect de l’avis du Congrès, respect des signatures apposées à Paris. À ses yeux, la relance économique, l’application crédible du plan de relance, le sauvetage de l’industrie du nickel et la cohésion sociale du territoire dépendent désormais d’un geste politique clair : assumer Bougival jusqu’au bout.


















