Deux îlots perdus dans l’immensité du Pacifique Sud, mais un enjeu colossal pour la souveraineté française.
Derrière un différend ancien se joue une bataille stratégique, juridique et politique aux conséquences majeures.
Matthew et Hunter, deux rochers volcaniques au cœur d’un bras de fer stratégique
Perdus dans le Pacifique Sud, les îlots Matthew et Hunter pourraient sembler insignifiants. Inhabités, escarpés, sans infrastructures, ils sont pourtant au centre d’un différend territorial ancien entre la France et le Vanuatu. Situées à l’est de la Nouvelle-Calédonie, ces terres isolées offrent à Paris un atout maritime décisif.
Grâce à la convention de Montego Bay de 1982, leur rattachement permet à la France de disposer d’une zone économique exclusive d’environ 350 000 km², un espace maritime stratégique, riche en ressources halieutiques potentielles, traversé par des câbles sous-marins et essentiel à la présence française dans l’Indo-Pacifique.
Historiquement, ces îlots ont été reconnus comme dépendances de la Nouvelle-Calédonie. En 1965, le Royaume-Uni confirmait officiellement ce rattachement. Depuis les années 1950, la France y mène des missions militaires et scientifiques régulières, avec notamment l’installation d’une station météorologique sur l’île Matthew en 1979. Autrement dit, la souveraineté française s’y exerce concrètement depuis des décennies.
Polémique politique et inquiétudes sur une possible cession
Une reprise de discussions diplomatiques a suffi à déclencher une tempête politique. Une délégation du Quai d’Orsay s’est rendue à Port-Vila les 20 et 21 novembre, avant l’annonce de nouvelles réunions à Paris, de quoi alimenter les soupçons d’un possible recul français.
Le sénateur LR Christophe-André Frassa a publiquement interrogé le gouvernement sur une éventuelle renonciation. À droite et à l’extrême droite, le ton est monté. Marine Le Pen, a dénoncé une hypothèse jugée inacceptable, rappelant que « la souveraineté nationale ne se négocie pas ». Jordan Bardella et Marion Maréchal ont, eux aussi, pointé une faute stratégique majeure.
Le dossier est d’autant plus sensible que le FLNKS a signé en 2009 un accord avec Port-Vila, reconnaissant implicitement des « droits coutumiers immémoriaux ». Une position qui alimente les tensions locales en Nouvelle-Calédonie et nourrit la méfiance d’une partie de l’opinion publique française.
Face à ces critiques, le Quai d’Orsay se veut catégorique : aucune cession n’a jamais été envisagée. Lors de son déplacement au Vanuatu en 2023, Emmanuel Macron avait évoqué un « dialogue ouvert » et une solution « pragmatique », sans jamais remettre en cause la souveraineté française.
Un précédent dangereux pour la puissance maritime française
Au-delà de Matthew et Hunter, l’enjeu est clair : ouvrir la porte à une cession créerait un précédent explosif. Des experts soulignent qu’un tel geste pourrait relancer d’autres revendications, notamment celles des Comores sur Mayotte ou de Madagascar sur les îles Éparses.
Sur le plan juridique, une cession reste théoriquement possible, mais strictement encadrée. Elle nécessiterait un traité international et une ratification par le Parlement, conformément à l’article 53 de la Constitution. Autant dire un processus lourd, politiquement risqué et difficilement justifiable pour des îlots offrant un tel levier stratégique.
Dans un contexte de rivalités accrues dans l’Indo-Pacifique, certains observateurs évoquent aussi l’ombre de la Chine, très active dans la région. Une perte de souveraineté française affaiblirait la position de Paris face à Pékin et réduirait son statut de deuxième puissance maritime mondiale.
Au Quai d’Orsay, la ligne officielle reste ferme : pas de rétrocession, pas de renoncement, mais la recherche d’un consensus sur la délimitation maritime et d’éventuelles coopérations en matière de pêche ou de recherche scientifique. Les discussions doivent se poursuivre à Paris début 2026.
En clair, derrière deux cailloux volcaniques se joue bien plus qu’un simple différend frontalier. C’est la crédibilité de la parole française, la défense de ses outre-mer et sa puissance maritime qui sont en jeu. Dans un monde où chaque kilomètre carré de mer compte, la France ne peut se permettre ni flou ni faiblesse.

















