Démissions, tensions managériales, contestation syndicale : France Télévisions traverse une zone de turbulences sans précédent. L’affaire Legrand-Cohen, la sortie polémique de Delphine Ernotte et les doutes sur l’impartialité du service public nourrissent un climat de panique interne.

S’il ne chavire pas encore, le navire France TV tangue à tous les étages. Bien démunis face à l’instabilité d’un cap (si) mal défini, certains de ses « matelots » craquent littéralement. À l’image d’une certaine Audrey Guidez, la DRH du service de l’information et des sports du groupe. Selon nos sources, cette professionnelle réputée a posé sa démission la semaine dernière. Son départ prendra effet le 31 octobre prochain. Déjà perturbée par « le manque de clarté » des missions qu’elle avait à mener, « faites d’injonctions contradictoires », elle a en outre été victime, en juin dernier, de menaces et d’insultes proférées à son encontre par la directrice de l’information adjointe.
À la lecture du procès-verbal établi par la suite – qui a conduit à la reconnaissance d’un accident du travail –, et auquel le JDD a eu accès, les propos tenus ont été d’une rare violence morale. Et leurs conséquences très graves pour elle. À la suite de cette altercation, la direction serait allée jusqu’à diffuser, via un groupe WhatsApp, des consignes adressées à l’ensemble des rédacteurs en chef et chefs de service, leur enjoignant de ne plus communiquer ni répondre aux sollicitations de la DRH.
Une enquête interne est toujours en cours. « C’est un véritable désaveu pour la conduite managériale de la direction, nous souffle un cadre proche du dossier, d’autant plus qu’Audrey est très capée. Elle gérait plus du tiers des salariés de France TV basés à Paris ! De plus, elle est un membre important de l’ANDRH, l’association des DRH de France. Son départ est un sérieux coup dur… »
Management souvent « irrationnel »
Mais ce ne serait qu’un symptôme. D’un mal plus profond, justement exprimé cette semaine par les représentants FO en place, dans une lettre ouverte adressée aux élus de la République, que nous avons pu consulter. Au nom des 8 800 salariés de France Télévisions, ils comparent leur groupe à un « poulet sans tête » et dénoncent des « choix éditoriaux » et « managériaux, souvent irrationnels », qui « fragilisent la crédibilité de l’information et jettent le discrédit sur l’ensemble de la profession ».
« C’est du délire total. On y voit un passage en force, sans dialogue social »
En soulignant refuser d’être « les otages d’une gouvernance irresponsable », ils concluent en réclamant « la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur la gestion de France Télévisions depuis dix ans, et sur l’utilisation de plus de 2,8 milliards d’euros de fonds publics chaque année ». Un SOS qui résonne, à l’heure où la Cour des comptes s’apprête à présenter son rapport sur France Télévisions (le 23 septembre).
L’interview donnée cette semaine par Delphine Ernotte au Monde – au sein de laquelle elle qualifie CNEWS de « chaîne d’extrême droite » – ne pouvait pas plus mal tomber. Pour rappel, la séquence diffusée par L’Incorrect montrait Thomas Legrand évoquer l’idée de « faire ce qu’il faut », « avec Patrick [Cohen, NDLR] » (en sa présence), pour empêcher Rachida Dati de remporter les municipales à Paris. Mais en tentant de faire contre-feu et d’éteindre publiquement l’affaire, la présidente aurait enflammé ses rangs.
« C’est du délire total. On y voit un passage en force, sans dialogue social, un bulldozer. On se sent pris en otages, perdus. D’autant plus qu’elle exprime son opposition au projet de réforme de l’audiovisuel public après l’avoir longtemps soutenu ! », confie Renaud Bernard, coordinateur du groupe FO chez France TV, inquiet de cette succession de « prises de position surprenantes ».
Panique à bord en interne
Dans les couloirs du groupe, une interrogation demeure : ce comité d’éthique qui a exempté Patrick Cohen, chroniqueur dans « C à Vous » (France 5), de toute faute, après la diffusion de la vidéo polémique. « La rapidité avec laquelle il a statué pose question, confie un proche de la direction, d’autant plus que Delphine Ernotte a elle-même composé ce comité ! Et sa décision contraste bien étrangement avec celle de l’Arcom… »
« Le manque d’impartialité dont est souvent accusé le service public en fait trembler plus d’un »
Après avoir entendu en ce sens la présidente de France TV et Sibyle Veil, celle de Radio France, mercredi dernier, l’Arcom ne s’est pas défilée. Après délibération, elle a décidé de lancer un « travail destiné à objectiver la portée concrète de l’exigence d’impartialité » du service public, « une étude indépendante » sur la perception et les attentes du public, et « une revue des dispositifs et outils existants » (chartes, comité d’éthique, médiateur, gestion des plaintes), au sein de ses chaînes et de ses antennes. Une remise en cause du système sérieuse.
Et en interne, c’est panique à bord. Le manque d’impartialité dont est souvent accusé le service public en fait trembler plus d’un. À l’image de Romain Messy, le directeur de la rédaction de France info TV. Dans un échange de mails que le JDD s’est procuré, le journaliste s’émeut des invités politiques à venir : « Un écolo et un PS ce week-end, vous êtes sûrs ? J’ai cru comprendre qu’il y avait une alerte rouge sur la faiblesse des temps de parole de l’exécutif et de Renaissance sur notre antenne […] on ne va pas arranger nos affaires ! » Des « affaires » bien mal engagées, dont l’épilogue paraît encore loin.
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