Entretien avec Jordan PLANTIER, le directeur d’exploitation du Wadra Bay, à Lifou
Alors que l’hôtel Wadra Bay s’apprête à ouvrir ses portes le 22 décembre 2025, le directeur d’exploitation revient sur les années de dérive, les erreurs de gestion et la relance du projet sous la présidence de Mathias Waneux. Une mise au point franche sur un symbole du tourisme calédonien.
- La Dépêche de Nouméa. — On a longtemps entendu parler du Wadra Bay comme d’un “hôtel fantôme”. Quelle est la réalité aujourd’hui ?
JP : Fantôme ? Cela pourrait presque prêter à sourire, la bêtise des réseaux et d’une poignée de haters se sont chargés de faire circuler des fausses rumeurs sur l’hôtel, depuis sa création, des équipes sont sur place, ouvrent, aèrent, nettoient, entretiennent les chambres et parties communes de l’hôtel. L’hôtel n’a jamais été pillé, ni squatté, ni brulé, il a toujours été entretenu.
Tout est là : les bâtiments, les aménagements, le mobilier, les installations techniques. Ce n’est pas un chantier à l’abandon, c’est un outil prêt à fonctionner.
Ce qui a bloqué, ce n’est pas la construction, il y a d’abord eu une fermeture de l’île au 19 mars 2020 qui a duré plus de 4 mois, un chantier de cette ampleur, avec le nombre d’entreprises qui ne peuvent pas travailler les unes sans les autres, ne redémarre pas en une semaine, il faut un temps pour relancer la machine, puis est venu le deuxième confinement COVID avec les mêmes fermetures. N’oublions pas que durant les deux ans de période COVID, il fallait un pass vaccinal pour voyager et cela à freiner les entreprises qui venaient de la grande terre.
Il est vrai que le projet a connu beaucoup de changements, à ses tout début avant qu’il ne soit médiatisé il y avait une volonté de faire un Sheraton, puis un Hilton mais c’est la chaine Intercontinental qui a été choisie pour au final ouvrir sans marque, en gestion locale ; mais l’hôtel n’a jamais été abandonné.
- On parle de plus de sept milliards de dettes ?
JP : Absolument pas, l’hôtel a couté près de 4.5 milliards, dont une grande partie vient d’investisseurs locaux et nationaux dans le cadre de la défiscalisation locale et métropolitaine ainsi que d’une banque locale. Aujourd’hui notre dette est maitrisée et un plan de remboursement va être présenté au TMC de Nouméa. Nous serons à l’audience du 18 décembre.
- Qu’a changé l’arrivée de Mathias Waneux à la tête de la Province des Îles ?
JP : C’est à son arrivée qu’il a été acté le souhait de rompre notre contrat de gestion avec la chaine INTERCONTINENTAL. Je tiens à rappeler qu’il n’y a jamais eu de mauvaise entente ou de rupture de dialogue avec la chaine, nos interlocuteurs ont toujours étés à notre écoute et à chercher des solutions ensemble, la réalité économique du territoire et de la province, a fait qu’il n’était plus possible financièrement de continuer.
Le président Waneux a souhaité renouer avec la philosophie d’origine, le projet dont il est à l’initiative, celle des concepteurs, des architectes, des équipes qui avaient porté le projet avant qu’il ne soit changé pour un 5*.
Nous avons repris les fondamentaux : cinquante clés, une gestion locale, des contrats de travail modulables, et un classement souhaité en quatre étoiles, pas cinq. L’objectif n’est pas de proposer une offre hôtelière trop couteuse, nous savons que dans le contexte actuel nous n’allions pas vendre des chambres entre 50.000 Xpf et 120.000 Xpf la nuit. Nous avons souhaité revoir le nombre de services dans l’hôtel, en supprimant le service H24, nous allons privilégier les heures des repas classiques.
Voituriers, bagagistes, Butler, équipe commerciale, administrative n’ont pas étés renouvelés dans le nouveau plan. Nous sommes portés par une Holding qui va prendre en main toute la partie administrative et comptable.
Et nous avons aujourd’hui une date officielle : l’ouverture du Wadra Bay est fixée au 22 décembre 2025.
- Certains disent que vous manquez d’ambition…
JP : Au contraire, nous avons une ambition réaliste. L’ambition, c’est de durer. Ce qui tue les projets touristiques en Calédonie, ce n’est pas le manque de rêve, c’est le manque de bon sens. Wadra Bay doit être un moteur pour Lifou, pas un gouffre financier. Nous voulons un hôtel capable d’accueillir les clientèles locales, régionales et internationales, mais à des coûts soutenables. Nous sommes suffisamment élégants et bien conçus pour être promus dans les circuits internationaux du tourisme haut de gamme — sans pour autant perdre notre identité.
- Concrètement, quand ouvrirez-vous ?
JP : Si tout reste dans le calendrier, l’ouverture officielle est prévue pour le 22 décembre 2025. Les dettes principales sont maitrisées, et nous finalisons les discussions bancaires pour sécuriser le plan de relance. Nous voulons ouvrir proprement, avec un modèle solide et localement ancré.
- Vous parlez d’un “modèle localement ancré”. En quoi est-il différent ?
JP : D’abord parce qu’il repose sur les réalités calédoniennes : les contraintes logistiques, le coût de l’énergie, les aléas climatiques, la saisonnalité du marché. Nous avons conçu une structure agile, avec des charges modulées selon le taux d’occupation. Et surtout, nous formons nos équipes ici, à Lifou. Ce n’est pas un hôtel importé, c’est un hôtel né ici avec une équipe 95% calédonienne.
Même si cela est utopique, nous voulons que chaque franc dépensé au Wadra Bay profite à l’économie locale ; nous ferons le maximum avec nos producteurs, pêcheurs, agriculteurs, apiculteurs, aviculteurs pour faire profiter à notre clientèle des trésors qui regorgent à Lifou.
Nous avons la chance d’avoir des pêcheurs locaux, et aussi beaucoup de petits producteurs dont certains se sont déjà organisés pour nous fournir, les cultures sont déjà en cours. Un des aviculteurs de l’île a anticipé l’ouverture en achetant 250 poules pondeuses pour fournir des œufs frais deux fois par semaine à l’hôtel.
Dans les grands hôtels on trouve toujours des set coutures, des pantoufles blanches, des brosses à vêtements, du cirage, peigne, lime, etc… qui a besoin de tout ça pour un séjour à Lifou ? Nous orienterons nos amenities, sur des produits calédoniens, ou nous avons fait appel à un Laboratoire d’Aromathérapie et de Cosmétologie de Nouméa mais aussi à un producteur de savon local ; concernant les petites intentions dans les chambres, elles sont produites sur Lifou à travers le miel et la vanille.
- Et politiquement, que symbolise le Wadra Bay aujourd’hui ?
JP : Dans notre pays on ramène tout à la politique, pourtant nous sommes des hôteliers, des restaurateurs, mais en aucun cas des acteurs politique.
Dans un hôtel tout le monde est le bienvenu, sans distinction d’appartenance politique, de genre ou de religions, notre rôle est d’accueillir et de faire passer un agréable séjour à notre clientèle.
Nous ne voyons que l’intérêt économique et social dans un respect de notre environnement, mais le mieux serait de poser la question à nos élus.
Ce que nous voyons, c’est que nous envoyons un message fort dans un contexte économique dégradé, mais qui aujourd’hui commence à s’améliorer avec la reprise de la compagnie Néo-zélandaise et australienne, mais surtout par l’abaissement du taux d’alerte de nos voisins sur l’ensemble du pays avec le Japon qui a suivi. On espère que la compagnie locale mette au moins une ligne par semaine pour le japon mais aussi sur Melbourne. Le mieux serait une fenêtre sur LA, comme Tahiti l’a fait, nous en avons souvent entendu parler, mais rien n’a été fait.
Le Wadra Bay, c’est la fin d’une ère de prestige ruineux et le retour au pragmatisme. Mathias Waneux n’a pas cherché à briller, il a cherché à terminer le travail et offrir des emplois et une économie locale. La Province n’avait plus besoin d’un Intercontinental, elle avait besoin d’un hôtel viable. Et je crois sincèrement que ce que nous faisons à Lifou peut servir d’exemple ailleurs : montrer qu’un projet touristique bien pensé, local, flexible et sincère peut réussir — sans promesses intenables ni lobbyistes.


















