Ils scrutent le territoire comme un médecin observe un patient sous tension.
Car, derrière les discours, la réalité des inégalités calédoniennes ne pardonne pas.
La Nouvelle-Calédonie face à ses fractures : une note qui change la donne
La publication de la Note n°2 de l’Observatoire des égalités de l’UNC, réalisée avec les Presses universitaires de Nouvelle-Calédonie, fait l’effet d’un électrochoc. Loin des lectures idéologiques, elle apporte des données concrètes, sourcées (ISEE, DITTT, DIMENC), qui éclairent avec précision l’un des grands angles morts du débat public : la réalité territoriale du pays.
Au cœur de cette nouvelle contribution, un outil inédit : la matrice de desserte, conçue pour mesurer la proximité réelle des populations aux infrastructures, aux activités économiques et aux services publics. Autrement dit : qui a accès à quoi, et en combien de temps.
Et ce constat dérange certains milieux militants, car les chiffres démontrent, froidement, que toutes les zones ne sont pas logées à la même enseigne. La géographie du pays, ses routes, ses montagnes, son réseau inégalement structuré, créent des écarts d’accès que des discours culpabilisants n’effacent pas.
L’UNC l’affirme sans détour : comprendre ces disparités est indispensable pour bâtir des politiques publiques efficaces, équilibrées, responsables loin d’une approche victimaire devenue trop courante.
Cette Note n°2 s’inscrit dans un cycle initié lors de la conférence de Baco en septembre 2025, où universitaires, institutions et associations avaient rappelé l’importance d’un diagnostic sérieux pour sortir des postures idéologiques.
Quand les chiffres remplacent les slogans : comprendre la matrice de desserte
Jusqu’ici, mesurer l’influence d’une activité économique reposait souvent sur des cercles théoriques « à vol d’oiseau » une méthode simple sur le papier, mais totalement déconnectée des réalités calédoniennes. L’UNC prend le problème à bras-le-corps en intégrant le réseau routier réel, ses vitesses, ses reliefs, ses ruptures.
La matrice repose sur trois piliers :
• les zones IRIS produites par l’ISEE ;
• les coordonnées précises des points d’activité (mines, usines, hôpitaux, etc.) ;
• le réseau BDROUTE-NC de la DITTT, fort de 281 410 segments codés (vitesse, pente, revêtement, continuité).
Cet ensemble permet de calculer non plus la distance théorique, mais le temps réel d’accès, offrant une vision fidèle des zones d’influence. Un IRIS est considéré comme influencé s’il se situe à moins de 30 minutes d’une mine ou à moins d’une heure d’un site métallurgique un critère éprouvé dans la littérature économique.
Ce travail révèle des réalités très concrètes :
• certaines communes comme Koumac, Kouaoua, Canala ou Yaté se trouvent à moins de 15 minutes d’une mine ;
• la transversale Koné–Tiwaka constitue une artère stratégique qui réduit considérablement l’isolement de Poindimié ou de Touho ;
• la zone d’influence de Koniambo est étirée par la logique du réseau ;
• certaines zones du Nord-Est restent structurellement enclavées, non par abandon politique, mais en raison de la topographie et des infrastructures existantes.
Autrement dit : la géographie et les routes font la loi, pas les discours. La matrice ramène à une vérité simple : l’égalité ne se décrète pas, elle se construit.
De la mine aux déserts médicaux : un outil pour gouverner enfin par la preuve
Cette matrice de desserte ne se limite pas au secteur minier. L’UNC l’applique aussi aux infrastructures de santé : hôpitaux, dispensaires, pharmacies, sages-femmes. La méthode reste la même, et les résultats sont aussi éclairants que préoccupants.
Les zones les mieux servies se concentrent naturellement sur la côte Ouest, notamment dans le Grand Nouméa. La côte Est et les îles présentent des disparités marquées, parfois intra-communales. Et certaines situations montrent, carte à l’appui, que la présence d’un bâtiment (comme à Bélep) n’équivaut pas à un service fonctionnel. Le constat est clair : le problème n’est pas uniquement l’infrastructure, mais l’attractivité du territoire pour le personnel soignant.
L’étude reste exploratoire, mais elle s’inscrit pleinement dans la littérature sur les déserts médicaux menée en métropole. Elle offre une base solide pour dépasser les slogans et cibler réellement les zones en tension.
Ce travail rigoureux rappelle également que la méthode, fondée sur la vitesse maximale autorisée, est volontairement optimiste. Les tests réalisés entre Nouville et Baco montrent un écart de quelques minutes avec les outils grand public comme Google Maps ou OpenStreetMap. Mais ce biais est constant et n’affecte pas la comparaison entre territoires.
Les chercheurs concluent sur une évidence : les résultats sont robustes, quel que soit le choix (médiane, minimum ou maximum) retenu pour définir le point représentatif d’un IRIS.
La matrice est donc un outil fiable, transparent, reproductible. Elle montre ce que beaucoup pressentaient sans pouvoir le démontrer : le territoire calédonien est profondément hétérogène, et c’est en l’assumant que l’on peut agir.
Ce que cette Note n°2 apporte dépasse le cadre académique. Elle fournit une base objective et solide pour orienter les politiques publiques : infrastructures, santé, développement économique, implantation des services, accompagnement des populations.
Elle permet d’identifier où agir en priorité, où renforcer la desserte, où concentrer les efforts pour réduire les écarts. Elle montre aussi que certains secteurs se trouvent artificiellement présentés comme « abandonnés » alors que leur éloignement résulte avant tout du relief et des contraintes du réseau routier.
Dans un contexte où la Nouvelle-Calédonie doit choisir entre immobilisme et reconstruction, entre discours victimaires et réformes courageuses, ce type d’outil devient indispensable.
L’Observatoire l’assume : il continuera à publier des travaux fondés sur des données fiables, loin des slogans, au service d’une décision publique plus lucide, plus efficace, plus juste.
Et c’est précisément ce dont le territoire a besoin aujourd’hui : des faits, du concret, du mesurable, pour sortir enfin des débats stériles et tracer une trajectoire d’avenir.

















