Il y a des chutes qui révèlent les hommes, et des injustices qui forgent une résistance intime.
Un mois après sa sortie de la Santé, Nicolas Sarkozy transforme l’épreuve en témoignage politique.
L’ÉPREUVE D’UN ANCIEN CHEF D’ÉTAT
Il fallait un caractère hors du commun pour traverser trois semaines en prison sans céder, sans renoncer, sans s’enfermer dans la plainte. Dans son Journal d’un prisonnier, Nicolas Sarkozy raconte ce que peu auraient imaginé : l’isolement, la cellule minuscule, la grisaille écrasante, les 23 heures sur 24 sans horizon. L’ex-président, obsédé durant son quinquennat par la libération des otages français, se retrouve à son tour derrière une porte blindée. Ironie du destin, et surtout injustice profonde selon lui une injustice qu’il répète, qu’il assume, et que ses proches soutiennent.
Sa cellule de 12 m², décrit-il, n’a rien d’un privilège : même mobilier, mêmes règles strictes, aucun passe-droit. Au contraire : l’ancien président explique avoir bénéficié de moins de libertés que certains autres détenus, sa porte restant constamment verrouillée, sans la possibilité de déambuler dans le couloir. Dans le livre, il confie avoir été frappé par l’absence de couleur, ce gris qui « dévorait tout ». Une atmosphère oppressante qu’il affronte avec deux armes : la discipline et la foi.
Dès sa première nuit, Sarkozy s’agenouille. Il prie, non pour lui-même, mais pour tenir, pour porter « la croix de cette injustice ». Le récit insiste sur cette rencontre spirituelle inattendue, un moment d’abandon total, que certains ironiseront mais que lui revendique comme une force intérieure. L’ancien président dit avoir appris, observé, réfléchi à ce que l’enfermement révèle de l’homme. C’est là une introspection rare chez un responsable politique habitué au tumulte plutôt qu’au silence.
Les visites familiales, précieuses, le soutiennent. Carla Bruni, son fils, ses proches : autant de respirations dans un quotidien où le temps se dilate. Il ne s’autorise aucune faiblesse publique, mais reconnaît que ces rencontres l’ont empêché de flancher. L’aumônier, avec lequel il échange longuement, tient également une place importante : discussions, confidences, méditation. Pour Sarkozy, la Santé devient paradoxalement un lieu de vérité, où la façade politique se fissure et où l’homme reprend toute sa place.
POLITIQUE, AFFRONTEMENTS ET SOUTIENS INATTENDUS
Dans le livre, la politique revient comme un boomerang. Jamais l’ancien président ne la cherche, mais elle s’invite sans prévenir. L’un des épisodes les plus révélateurs survient lorsqu’une directrice adjointe lui demande de rester dans sa cellule pour éviter de croiser deux députés de La France insoumise en visite surprise à la prison. Leur objectif ? Vérifier s’il bénéficierait de privilèges. La scène dit tout : la suspicion permanente, la politisation de la détention, l’obsession de certains pour la polémique.
Sarkozy refuse de les voir. Sur les conseils de son avocat, il reste dans sa cellule. Il dénonce une intrusion déplacée, une volonté de transformer sa situation en « coup politique ». Pour lui, cette démarche illustre parfaitement un climat français où certains préfèrent l’opposition permanente à la dignité minimale que l’on devrait accorder à tout détenu.
Mais parmi les responsables politiques, tous ne l’ont pas abandonné. Le livre mentionne explicitement le soutien de Marine Le Pen, celui du vice-président de l’Assemblée Sébastien Chenu, ou encore les gestes amicaux de certaines figures de droite qui refusent de hurler avec les loups. À l’inverse, Emmanuel Macron en prend pour son grade : Sarkozy l’accuse d’avoir « détourné le regard » au moment de sa condamnation. Une pique révélatrice du fossé qui s’est creusé entre les deux hommes.
Dans ces pages écrites au stylo, quotidiennement, puis retranscrites par ses avocats, l’ancien président revient aussi sur les raisons de cet ouvrage. Il explique vouloir répondre à une question simple : « Comment en suis-je arrivé là ? » Non pas pour se victimiser, mais pour exposer ce qu’il considère comme une défaite de la justice française, trop lente, trop politique, trop perméable aux interprétations.
UN TÉMOIGNAGE POLITIQUE MAJEUR ET UN AVERTISSEMENT
Au-delà du récit personnel, Journal d’un prisonnier prend rapidement une dimension politique. Sarkozy y glisse des critiques ciblées : contre les dérives idéologiques, contre la tentation du soupçon systématique, contre une justice devenue « machine à broyer ». Il note avoir été « davantage surveillé qu’un détenu VIP », protégé certes par deux officiers, mais soumis à des règles d’une rigueur extrême. Son alimentation laitages, barres de céréales, eau minérale, jus de pomme illustre un quotidien frugal, presque ascétique.
Il confie que le seul moment de normalité fut la diffusion d’un match du PSG lors de sa première soirée : une bouffée d’air rare dans une routine écrasante. Le reste du temps, l’ancien président écrit. Tous les jours. Sur une petite table en contreplaqué. Un travail méthodique, presque obsessionnel, jusqu’à produire les 216 pages publiées ce 10 décembre par Fayard, maison désormais intégrée au groupe Bolloré.
Sarkozy sait que la bataille judiciaire n’est pas terminée : appel sur le dossier libyen, enquêtes sur ses activités de conseil ou sur le Mondial 2022. Mais ce livre n’est pas une défense technique. C’est un récit politique, un avertissement : ce qui lui est arrivé peut, selon lui, arriver à d’autres. Il y affirme avoir « beaucoup appris à la Santé » : sur la solitude, sur les hommes, sur le courage qu’exige l’enfermement. Il refuse le rôle de martyr, encore moins celui de coupable résigné. Il parle en homme libre, même si la liberté fut momentanément confisquée.
Pour la droite, ce livre marque un tournant. Il met en lumière un traitement que beaucoup jugent disproportionné, une volonté d’exemplarité devenue aveugle, un système judiciaire qui semble parfois oublier la présomption d’innocence. Pour ses partisans, Sarkozy ressort grandi : solide, combatif, lucide. Pour ses adversaires, l’ouvrage dérange. Pour les Français, il ouvre une porte rarement entrouverte : celle de l’intimité d’un ancien chef de l’État derrière les barreaux.

















