La droite croyait avoir enterré l’idée d’une primaire : elle revient en force et ravive toutes les fractures. De Darmanin à Knafo, chaque candidature pose la même question explosive : jusqu’où va le périmètre de la droite — et qui peut encore prétendre l’unifier ?

« Cachez cette primaire que je ne saurais voir. » À distance de la présidentielle, le refrain était repris en chœur par la plupart des prétendants. À mesure que l’échéance approche, les pudeurs de gazelle se dissipent et l’idée d’une primaire infuse dans toutes les chapelles, au point de convertir les plus récalcitrants – en particulier les grands traumatisés de l’épisode Fillon et de la débâcle Pécresse. Revenue en grâce à droite, où l’on cherche une issue de secours face à la progression fulgurante de Jordan Bardella, donné archi-favori pour 2027, la primaire serait aussi la meilleure parade pour devancer un candidat de la gauche qui tenterait sa résurrection. Chacun a fini par l’admettre : avec trois, quatre ou cinq prétendants, la droite et le centre pèseront peu face à la dynamique du RN. Ces dernières semaines, chez les élus LR, Horizons, Reconquête et même dans les rangs de Renaissance, une conclusion s’impose : si le courant de pensée de la droite veut exister, il lui faut un champion. Et un seul.
Un débat inflammable
Vient ensuite la question de la procédure, qui ouvre un débat autrement inflammable : celui de l’union des droites, vieux serpent de mer qui revient hanter un paysage politique lessivé, où la lassitude électorale accélère toutes les recompositions. « On ne parle plus d’union des droites – taboue pour beaucoup, impossible à assumer publiquement pour d’autres, souffle un dirigeant LR. Désormais, on parle de “primaire large”, de “primaire ouverte”. » Autrement dit : un mécanisme qui permettrait de rassembler, sans l’avouer, ceux qu’on n’oserait plus voir s’asseoir autour d’une même table depuis que François Mitterrand, par habileté tactique, a contraint Jacques Chirac à installer le fameux « cordon sanitaire » séparant la droite dite « de gouvernement » de ce que l’on appelait alors « l’extrême droite ».
Le premier à avoir soufflé l’idée d’une « primaire de la droite au centre » fut David Lisnard, maire de Cannes et président de l’AMF, il y a deux ans déjà. Soucieux à la fois de conjurer l’éparpillement des ambitions et de redonner un semblant de cohérence idéologique à un camp sans repères.
Laurent Wauquiez a habilement repris le flambeau et, opportunément, élargi le périmètre avec une formule qui fait mouche : une primaire « de Gérald Darmanin à Sarah Knafo ». Une conversion aussi radicale que récente, au lendemain de sa défaite à la présidence des Républicains, lui qui avait précisément fait campagne contre « le poison » de la primaire… Preuve qu’en politique, il faut savoir cultiver l’art du rebond, fût-il acrobatique. Ce faisant, le député de la Loire a dit tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas : placer Reconquête sur la même ligne de départ que l’ensemble des formations de droite et de centre droit, en laissant le Rassemblement national seul dans son couloir. La ligne d’arrivée consacrant alors une union des droites… sans le RN.
Du côté de Reconquête, la réaction est immédiate et enthousiaste. Sarah Knafo salue l’idée : « Une primaire pour remettre les idées de droite au centre », glisse-t-elle, rappelant qu’à la lecture des sondages, une addition des voix RN-LR-Reconquête dépasserait les 50 %. Éric Zemmour enfonce le clou : « Chiche », dit-il en substance. L’intérêt est limpide : pour Reconquête, entrer dans le dispositif, c’est peser sur le logiciel de la droite classique. Mieux, la carte d’une victoire n’est pas fantaisiste au regard des scores obtenus au premier tour de la dernière présidentielle. Et, même en cas d’échec, imposer une partie de leur agenda – immigration, dépense publique, autorité – reste « tout bénéf’ ». Dans leur esprit, la primaire deviendrait enfin ce qu’elle n’a jamais vraiment été : un moment de clarification idéologique plutôt qu’un simple concours de beauté.
Pour autant, l’union des droites par la primaire n’a rien d’un long fleuve tranquille. À mesure que le débat avance, les lignes rouges surgissent. Gérald Darmanin, pourtant cité parmi les favoris de cette hypothétique compétition, recule aussitôt : sa « bonne » primaire devrait s’organiser « d’Attal à Retailleau », autrement dit se limiter au « socle commun ». Une primaire recentrée, compatible avec Renaissance, LR et Horizons – et donc strictement incompatible avec Reconquête. « Personne n’imagine Attal applaudir Zemmour… ni même, soyons honnêtes, Retailleau », glisse un ministre macroniste. Chez Horizons comme chez LR, on affine la nuance en distinguant Sarah Knafo d’Éric Zemmour. « Elle est très libérale et, dans la forme, n’a rien à voir avec un Zemmour beaucoup trop radical pour nous, avec qui nous ne partageons quasiment rien », confie un proche d’Édouard Philippe.
Même prudence chez Bruno Retailleau, dont la posture intrigue jusque dans sa propre famille politique. Il ne refuse pas la primaire a priori, mais rejette le cadre qu’on tente de lui imposer. Derrière son « ce seront les adhérents LR qui trancheront » affleure une inquiétude : une primaire trop large diluerait l’identité LR, noyant le logiciel conservateur dans une addition de droites aux cultures politiques divergentes. « Je n’y suis pas opposé, mais qui pour l’organiser ? Les LR me semblent les seuls en mesure de le faire », glisse-t-il, avant de prévenir : quatre candidats LR dans une primaire ouverte, c’est l’assurance de n’en avoir aucun à la présidentielle. Retailleau verrouille donc : « Je m’en tiendrai à ce que j’ai annoncé : les adhérents décideront. Le choix du mode de désignation et ses modalités seront rendus publics début 2026, puis soumis à un vote après les municipales. »
Pendant que les états-majors de droite moulinent sur les frontières de l’union, les modalités de désignation et les arrière-pensées tactiques, le Rassemblement national observe la scène de loin. « Franchement, qu’est-ce que vous voulez qu’on aille faire dans ce marasme avec des candidats lilliputiens alors que nos deux candidats sont donnés à plus de 35 % ? Ça n’a aucun sens », raille un cadre du parti. Marine Le Pen et Jordan Bardella misent sur un principe simple : plus la droite se déchire sur le périmètre, plus le RN apparaît comme le seul bloc cohérent, rassemblé, discipliné. Chez LR, on ne se raconte pas d’histoires : « Le RN ? Ils ne sont pas de droite, ils le disent eux-mêmes : leur seul objectif, c’est l’hégémonie », souffle un proche de Wauquiez.
En réalité, cette primaire fait office de test ADN pour la droite française. Elle oblige chaque famille politique à dire qui elle accepte à sa table : Reconquête ? Le centre droit ? Le RN ? C’est le débat que personne ne voulait rouvrir et que tout le monde mène aujourd’hui à demi-mot. Faute de pouvoir s’unir explicitement, la droite tente de se rassembler mécaniquement. La primaire pourrait en être l’outil. Avec un risque non négligeable : pensée pour fédérer, elle pourrait au contraire révéler une fracture plus profonde encore, entre les trois droites – légitimiste, orléaniste, bonapartiste – théorisées par René Rémond. À force de tourner autour de la procédure et du périmètre, la droite pourrait bien se retrouver, si elle échoue dans son entreprise, face à une autre réalité au soir du premier tour : subir la loi hégémonique de Jordan Bardella ou de Marine Le Pen.
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