Ils s’inquiètent tard, mais ils s’inquiètent enfin.
Quand la démographie bascule, les finances publiques trébuchent.
Une France qui vieillit, une natalité en berne et un modèle social en surchauffe
La France croyait être l’exception européenne. Elle ne l’est plus. En quelques années, la démographie nationale a connu un basculement silencieux. Une fécondité tombée à 1,62 enfant par femme, un vieillissement accéléré et un solde naturel devenu négatif font entrer le pays dans une zone inédite : moins de jeunes, plus de seniors, et une population active qui se rétrécit mécaniquement.
Selon les chiffres consolidés, la part des 65 ans et plus atteint désormais près de 22 %, contre 16 % en 2005. Et l’arrivée massive des générations du baby-boom dans le grand âge multipliera le nombre de seniors très âgés : plus de 11 millions de Français auront dépassé 75 ans en 2070. Ce mouvement n’est plus une hypothèse : il est en marche, documenté, inéluctable.
Cet effondrement du renouvellement des générations, longtemps nié, pèse directement sur la cohésion nationale. Moins de naissances, c’est une pression moindre sur les écoles, mais c’est surtout une chute de la base productive, celle qui finance la protection sociale, l’État et les retraites. La Cour est claire : la France s’aligne sur le reste de l’Europe, perdant ce qui constituait son dernier avantage stratégique face au vieillissement continental.
Or un pays qui travaille moins, qui se renouvelle peu et qui vieillit vite doit réorganiser de fond en comble son modèle public. Sans cela, c’est un choc budgétaire d’une violence inédite qui se profile.
Recettes en recul, dépenses en spirale : la trajectoire explosive que décrit la Cour des comptes
La Cour ne prend aucune pincette : les transformations démographiques écrasent déjà les finances publiques. Trois mécanismes majeurs sont identifiés.
D’abord, la chute relative de la population en âge de travailler. Les 20–64 ans représentaient 55 % de la population il y a encore quelques années ; ils n’en constitueront plus que 50 % en 2070. Conséquence immédiate : moins de cotisations, moins d’impôts, moins de richesse produite. La France, déjà handicapée par un taux d’emploi inférieur à celui de ses voisins, ne pourra pas absorber ce choc sans relever massivement le travail des seniors, des jeunes, des femmes… et de certains publics qui demeurent durablement éloignés de l’emploi.
Ensuite, les recettes publiques sont fragilisées par une pyramide des âges défavorable. Les plus jeunes cotisent davantage ; les plus âgés consomment davantage de services publics. En 2019, les 20–39 ans consacraient près de 40 % de leurs revenus au financement de la protection sociale, contre 25 % pour les plus de 65 ans. Le déséquilibre s’accentue au fil des ans.
Enfin, les dépenses sociales explosent. Les retraites représentent déjà 14 % du PIB, bien au-dessus de la moyenne européenne. Les dépenses de santé suivent une courbe ascendante continue avec l’allongement de la vie. Et le plus inquiétant reste devant nous : la dépendance. Le pays n’a ni financements sécurisés, ni stratégie consolidée, alors que les générations nombreuses de l’après-guerre atteignent progressivement les âges critiques.
La Cour modélise les trajectoires possibles. Sans réforme structurelle, les dépenses publiques grimperaient jusqu’à 60,8 % du PIB en 2070, un niveau comparable au pic du Covid. À l’inverse, maintenir le ratio actuel impliquerait une réduction des dépenses publiques par habitant de plus de 6 %. Une équation impossible sans révision de tout le système.
Une gouvernance aveugle, un retard coupable : l’appel de la Cour à un sursaut national
Le constat est brutal : la France n’intègre presque jamais les enjeux démographiques dans sa programmation budgétaire. Dans 630 000 mots analysés, les termes démographiques n’apparaissent qu’à 0,05 %. La démographie, pourtant déterminante pour les retraites, la santé, l’éducation, la fiscalité et la dette, reste le grand impensé de l’État.
La Cour juge cette absence « préoccupante ». Elle dénonce :
• une fragmentation institutionnelle où nul n’a la responsabilité globale du vieillissement ;
• des outils de mesure insuffisants, incapables de suivre à temps réel la transformation du pays ;
• un manque d’anticipation chronique qui reporte toutes les décisions majeures sur les générations futures.
Trois priorités émergent.
D’abord, repenser le financement de la protection sociale, entre fiscalité, cotisations, solidarité intergénérationnelle et recours accru au secteur privé. Le vieillissement impose un partage nouveau de la charge entre générations.
Ensuite, reconstruire la dynamique du travail : relever le taux d’emploi, améliorer la formation des seniors, fluidifier le marché, attirer les talents internationaux, réhabiliter l’effort et la valeur travail pour préserver les comptes publics.
Enfin, traiter frontalement la baisse de la natalité. Un pays qui ne se renouvelle plus s’affaiblit. Les politiques familiales doivent être repensées : efficacité, lisibilité, impact réel sur les naissances. Les effets seraient lents mais indispensables pour éviter un pays vieillissant sans jeunesse.
La Cour le dit clairement : la France dispose d’atouts, mais ils s’érodent. Le pays peut encore redresser la barre, mais le temps perdu ne se rattrape pas. Sans réaction rapide, le vieillissement imposera des ajustements brutaux, socialement explosifs et budgétairement insoutenables.


















