L’aide existe depuis plus de quarante ans, mais son efficacité reste un angle mort.
Derrière le discours officiel sur l’entrepreneuriat, les chiffres de l’État racontent une autre histoire.
Une aide devenue illisible, loin de l’esprit initial du travail
Créée en 1979, l’aide à la création et à la reprise d’entreprise (ACRE) devait, à l’origine, favoriser le retour à l’emploi par l’initiative individuelle. Quarante ans plus tard, le dispositif a perdu sa colonne vertébrale.
Selon les observations définitives de la Cour des comptes, l’ACRE a subi des réformes successives, contradictoires et souvent budgétaires, sans jamais faire l’objet d’une évaluation sérieuse de son impact réel. Ouverte à tous en 2019, puis brutalement resserrée dès 2020, elle illustre une politique publique instable, incapable d’assumer une ligne claire.
Le résultat est sans appel :
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des règles différentes selon le statut (travailleurs indépendants, micro-entrepreneurs, assimilés salariés) ;
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des conditions complexes et hétérogènes ;
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une aide parfois invisible pour ses propres bénéficiaires, du fait de son automaticité.
Dans un pays qui prétend encourager l’esprit d’entreprise, cette confusion administrative décourage autant qu’elle accompagne.
400 millions d’euros par an… pour un effet toujours inconnu
En 2024, l’ACRE a représenté environ 408 millions d’euros (48,9 milliards de francs CFP) de dépenses publiques, compensées par le budget de l’État à la Sécurité sociale. Un montant loin d’être marginal, mais sans résultat objectivé.
La Cour des comptes est catégorique : aucune évaluation n’a été menée, malgré une obligation légale inscrite dans la loi organique relative au financement de la Sécurité sociale.
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ni l’effet incitatif sur la création d’entreprise,
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ni l’impact sur la pérennité des structures,
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ni même le retour à l’emploi
ne sont aujourd’hui mesurés.
Pire encore, l’aide est noyée dans un maquis de dispositifs concurrents : aides régionales, accompagnements locaux, exonérations fiscales, soutiens sectoriels. Dans ce millefeuille, l’ACRE ne joue plus aucun rôle stratégique clair.
La Cour souligne également que l’événement professionnel et non la promesse d’une exonération sociale reste le principal déclencheur de la création d’entreprise. Autrement dit, l’aide suit le mouvement ; elle ne le crée pas.
Réformer, évaluer… ou supprimer : l’État face à ses responsabilités
Face à ce constat sévère, la Cour des comptes avance plusieurs scénarios, tous fondés sur le pragmatisme et la responsabilité budgétaire.
Première option : une suppression pure et simple.
Économie immédiate estimée : plus de 400 millions d’euros (48 milliards de francs CFP) par an, dans un contexte de finances publiques sous tension.
Deuxième option, privilégiée par la Cour :
👉 une évaluation complète d’ici 2027, suivie d’une décision politique claire.
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Si l’ACRE sert réellement l’emploi, elle doit être recentrée sur les demandeurs d’emploi.
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Si elle vise la création d’entreprise, elle doit être pilotée par une véritable stratégie économique, en lien avec les entreprises et les régions.
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Si aucun impact significatif n’est démontré, la suppression s’impose.
La Cour recommande enfin une réforme de bon sens : conditionner l’aide à un parcours d’accompagnement réel, seule garantie reconnue de la pérennité entrepreneuriale.
L’ACRE résume à elle seule les dérives de la politique publique française : beaucoup d’argent, peu de contrôle, aucun résultat mesuré.
À l’heure où chaque euro compte, l’État ne peut plus se contenter d’aides automatiques sans preuve d’efficacité.
Évaluer, recentrer ou supprimer : le temps des demi-mesures est terminé.


















