Encore une fois, l’histoire tranche là où les idéologies hésitent.
À Paris, en décembre 1964, la République choisit la grandeur, la mémoire et l’unité nationale.
1964, l’année où la France décide de frapper fort
En 1964, la France gaullienne est à un tournant mémoriel. Cinquante ans après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, vingt ans après la Libération, le temps est venu de fixer une mémoire nationale claire, assumée, sans repentance ni dilution.
Lors d’une réunion gouvernementale consacrée aux commémorations, le constat s’impose : il manque un geste, un acte fort, une incarnation.
Le général Charles de Gaulle tranche. Ce sera Jean Moulin.
Fondateur du Conseil national de la Résistance, unificateur des mouvements clandestins, martyr mort sans avoir parlé, Moulin incarne la Résistance dans ce qu’elle a de plus exigeant : le sacrifice sans calcul.
Le 19 décembre 1964, ses cendres entrent au Panthéon.
Ce n’est pas une simple cérémonie. C’est un acte politique au sens noble, une affirmation de continuité historique entre la France libre, la République et la Nation souveraine.
À la tribune, un homme est chargé de donner des mots à cette grandeur : André Malraux.
André Malraux, une trajectoire tourmentée au service de la France
Rien ne prédestinait Malraux à devenir la voix officielle de la mémoire résistante. Issu d’un milieu bourgeois, marié jeune à une femme fortunée, passionné d’art asiatique, il mène dans les années 1920 une vie d’aventurier intellectuel.
Son séjour au Cambodge, alors protectorat français, et sa tentative de soustraction de statues khmères lui valent des ennuis judiciaires bien réels, qui nourrissent son premier grand roman, La Voie royale.
Dans les années 1930, Malraux se rapproche des communistes chinois engagés contre le Guomindang de Tchang Kaï-chek. Du drame de Shanghai de 1927 naît La Condition humaine, prix Goncourt 1933, œuvre majeure sur la violence révolutionnaire et le destin humain.
Il s’engage ensuite, à distance, dans la guerre d’Espagne, finançant une escadrille républicaine, expérience qu’il transforme en roman avec L’Espoir.
Mais la guerre réelle, celle qui engage le destin de la France, le rattrape. Malraux entre dans la Résistance, puis, à la Libération, rejoint l’appareil d’État.
Ministre de l’Information, puis surtout ministre des Affaires culturelles de 1959 à 1969, il devient l’un des piliers civils du gaullisme.
Son action est marquée par la loi du 4 août 1962, qui porte son nom et pose les fondations modernes de la protection du patrimoine français.
Malraux ne parle pas seulement d’art : il parle de civilisation, de transmission, de continuité nationale.
Un discours pour l’éternité, une Résistance inscrite dans la pierre
Le discours du 19 décembre 1964, conservé par l’INA, n’est pas un exercice littéraire. C’est un acte de souveraineté mémorielle.
Malraux n’y célèbre pas un individu isolé, mais un peuple en armes morales, une France qui a refusé la soumission.
« Entre ici, Jean Moulin », lance-t-il, dans une adresse directe devenue mythique.
À travers Moulin, ce sont tous les résistants anonymes qui franchissent le seuil du Panthéon : ceux des maquis, des réseaux, des prisons, des caves de la Gestapo.
Cette panthéonisation tranche avec la prudence mémorielle des décennies précédentes. Depuis 1949, peu de figures avaient rejoint ce sanctuaire républicain.
En 1964, de Gaulle assume : la Résistance est le cœur battant de la légitimité française.
Le choix de Jean Moulin n’est pas consensuel par hasard. Il est stratégique par essence.
Moulin fut le trait d’union entre les sensibilités, les idéologies, les ego. Il incarne l’unité dans le combat, non la division victimaire.
À l’heure où certains cherchent à déconstruire l’histoire nationale, cet acte rappelle une évidence : la France s’est relevée par le courage, non par la repentance.
Malraux, malgré l’alcoolisme, la dépression, les drames personnels la mort de ses deux fils, l’attentat de l’OAS qui mutila une fillette reste jusqu’au bout fidèle à de Gaulle et à la mission culturelle de l’État.
Rencontre avec Mao Zedong, publication des Antimémoires, création des Maisons de la Culture : il se consume au service d’une certaine idée de la France.
Le 19 décembre 1964, tout converge.
Un homme, un discours, une Nation.
Jean Moulin entre au Panthéon.
Et avec lui, la Résistance devient à jamais un pilier de la mémoire française.


















