Le monde n’est plus celui de la mondialisation heureuse.
Derrière les discours lissés, une guerre économique frontale s’est installée, où seuls les États solides et stratèges survivent.
Le commerce mondial n’est plus neutre : la fin des illusions multilatérales
Dans un dernier rapport conjoint des commissions des affaires étrangères, des affaires européennes, des affaires économiques et de la défense du Sénat, le constat est désormais partagé par tous les observateurs sérieux : le commerce international est redevenu un instrument de puissance. L’époque où les échanges obéissaient à des règles communes, arbitrées par des institutions multilatérales, est largement révolue.
Depuis plusieurs années, crises sanitaires, conflits armés et tensions géopolitiques ont mis en lumière les dépendances stratégiques dangereuses des économies occidentales.
La pandémie de Covid-19 a révélé la fragilité des chaînes d’approvisionnement. La guerre en Ukraine a brutalement exposé la dépendance énergétique européenne. Les attaques en mer Rouge ont rappelé la vulnérabilité des routes maritimes. Résultat : le commerce mondial se fragmente en blocs politiques.
Cette évolution marque le retour assumé du nationalisme économique, concept longtemps diabolisé mais désormais revendiqué par toutes les grandes puissances. Les États relocalisent ce qui est vital, sécurisent leurs chaînes de valeur et protègent leurs secteurs stratégiques. Le dogme du libre-échange sans limites a vécu.
Dans ce nouveau paysage, l’Organisation mondiale du commerce est contournée, affaiblie, marginalisée. Le multilatéralisme cède la place à des accords bilatéraux ou plurilatéraux dictés par le rapport de force, et non par le droit.
États-Unis, Europe, Chine : une guerre commerciale assumée et déséquilibrée
La rivalité sino-américaine structure désormais l’ensemble du commerce mondial. Les États-Unis ont fait un choix clair : le commerce comme arme stratégique. Sous l’impulsion de Donald Trump, Washington assume des droits de douane massifs, conditionne l’accès à son marché et impose ses règles, sans complexe.
Face à cela, l’Union européenne apparaît trop souvent divisée, lente et vulnérable. L’accord dit de Turnberry, signé en juillet 2025, illustre cette faiblesse structurelle. En échange d’un accès préservé au marché américain, Bruxelles a accepté un accord asymétrique, favorable aux États-Unis, rompant même avec certains principes fondateurs de l’OMC.
Cette capitulation commerciale s’explique par une réalité géopolitique brutale : la dépendance militaire européenne vis-à-vis de Washington. Elle révèle aussi l’incapacité de l’UE à parler d’une seule voix, certains États membres ayant préféré préserver leurs intérêts nationaux immédiats au détriment de l’intérêt collectif.
Dans le même temps, la Chine poursuit une stratégie méthodique et redoutablement efficace. Depuis son adhésion à l’OMC, Pékin a bâti un modèle fondé sur les subventions massives, la montée en gamme technologique et les surcapacités industrielles. Sous l’impulsion de Xi Jinping, cette politique s’est encore renforcée avec le programme Made in China 2025 et le développement de technologies de rupture.
Choc chinois et réveil européen : l’urgence de la souveraineté économique
Le résultat est sans appel : l’Europe subit de plein fouet un choc chinois. Acier, automobile, textile, photovoltaïque, véhicules électriques… secteur après secteur, les industries européennes sont déstabilisées par une concurrence faussée, soutenue par l’État chinois.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les exportations chinoises d’acier équivalent désormais à la consommation européenne. Les plateformes comme Shein ou Temu inondent le marché de milliards de colis, contournant normes sociales, environnementales et fiscales. Cette offensive industrielle menace directement l’emploi, la production et la cohésion sociale en Europe.
Face à cela, la réaction européenne reste trop timide, trop tardive, trop bureaucratique. Certes, des droits antisubventions ont été instaurés, des instruments anti-coercition créés, des mécanismes de filtrage des investissements renforcés. Mais ces outils restent sous-utilisés, par frilosité politique ou par idéologie libre-échangiste dépassée.
Le rapport est clair : un sursaut est indispensable. L’Europe doit assumer une politique de défense commerciale ferme, accélérer le derisking, imposer des clauses miroirs, protéger ses marchés publics et conditionner les investissements étrangers à des transferts de technologie réels.
Pour la France, l’enjeu est existentiel. La désindustrialisation menace, les exportateurs sont exposés, et seule une réindustrialisation assumée, appuyée sur l’innovation, la formation et la marque France, permettra de tenir dans la durée. Exporter n’est pas une option, c’est une nécessité stratégique.
Dans ce monde dur, instable et conflictuel, les nations naïves disparaissent. Le commerce international n’est plus un jeu gagnant-gagnant abstrait : c’est un champ de bataille. À l’Europe et à la France de choisir si elles veulent y survivre… ou s’y soumettre.


















