La continuité territoriale n’est pas un slogan compassionnel ni une variable d’ajustement budgétaire.
En Nouvelle-Calédonie, elle est devenue un révélateur brutal des failles du pilotage public, des renoncements politiques et du coût réel de l’inaction stratégique.
Une politique publique sans stratégie, malgré des milliards engagés
La continuité territoriale repose sur un principe simple : garantir l’égalité d’accès à la mobilité dans un territoire fragmenté par l’insularité et l’éloignement.
En Nouvelle-Calédonie, ce principe est unanimement invoqué, mais jamais réellement structuré.
Le rapport d’observations définitives de la chambre territoriale des comptes est sans appel : aucune stratégie globale de desserte aérienne n’a été adoptée par le Congrès, malgré des alertes répétées depuis plus de quinze ans.
Le schéma global des transports et de la mobilité, finalisé dès 2016, n’a jamais été voté, laissant les politiques publiques se déployer sans boussole, sans priorités claires ni évaluation.
Résultat : une accumulation de dispositifs, d’aides et de subventions, sans hiérarchisation des besoins ni vision à long terme.
La continuité territoriale n’est plus pilotée ; elle est subie, au gré des crises, des pressions et des urgences politiques.
ADANC : un outil central fragilisé par une gouvernance défaillante
L’Agence pour la desserte aérienne de la Nouvelle-Calédonie (ADANC) est devenue le bras financier principal de cette politique.
Actionnaire quasi exclusif d’Aircalin et désormais détentrice des parts publiques d’Air Calédonie, l’agence concentre un pouvoir stratégique majeur.
Mais la chambre des comptes pointe une réalité préoccupante : gouvernance fragile, organisation minimaliste, absence de projet d’établissement, conseils d’administration parfois privés de quorum, vacance prolongée de postes clés.
Un établissement public chargé de plusieurs milliards de francs CFP d’aides fonctionne sans cadre stratégique formalisé.
Sur le plan financier, la situation s’est brutalement tendue.
Les ressources fiscales affectées à l’ADANC ont diminué, tandis que les charges ont explosé sous l’effet des soutiens répétés aux compagnies aériennes déficitaires.
Après des années de relative aisance, l’équilibre financier est désormais menacé, remettant en cause la capacité de l’agence à maintenir ses interventions au même niveau.
La chambre est claire : sans réforme de la gouvernance et clarification des missions, toute extension du rôle de l’ADANC serait irresponsable.
Continuité pays : dérives sociales, coûts incontrôlés et absence de ciblage
Le dispositif d’aide à la continuité pays, créé en 2012 comme mesure transitoire, est devenu un gouffre budgétaire permanent.
Destiné initialement aux résidents des communes insulaires, il finance une partie des billets aériens vers la Grande Terre.
Entre 2019 et 2024, ce dispositif a coûté près de 2,9 milliards de francs CFP à la puissance publique.
Dans le même temps, le nombre de bénéficiaires a dépassé la population réellement éligible, révélant des failles majeures de contrôle.
Acceptation laxiste des attestations d’hébergement, absence de vérification croisée avec les aides provinciales, délégation de gestion à un opérateur aérien privé : tous les ingrédients d’une dérive étaient réunis.
La chambre estime le surcoût injustifié à environ 100 millions de francs CFP par an sur les dernières années contrôlées.
Pire encore, les droits ont été prorogés sans base réglementaire, exposant la collectivité à un risque juridique sérieux.
La réforme adoptée en juillet 2025 corrige partiellement ces excès, mais le cœur du problème demeure : une aide sociale sans condition de ressources, sans ciblage des motifs de déplacement et sans contrôle effectif.
Lignes à faible trafic : un soutien coûteux, peu efficace et jamais évalué
Autre pilier de la continuité territoriale : le soutien aux lignes aériennes domestiques structurellement déficitaires.
Entre 2019 et 2024, 1,76 milliard de francs CFP d’aides publiques ont été versés pour maintenir certaines dessertes.
Le constat est sévère. Des taux de remplissage parfois inférieurs à 30 %, voire 11 % sur certaines lignes, pour une aide publique dépassant 120 000 francs CFP par passager.
Une situation difficilement justifiable à long terme, surtout lorsqu’il existe des alternatives routières ou maritimes.
Ces aides ont été octroyées via des conventions annuelles, sans visibilité, sans exigence de performance ni engagement pluriannuel.
La chambre recommande clairement le recours à des délégations de service public, seules capables d’introduire de la transparence, de la concurrence encadrée et une réelle obligation de résultat.
La continuité territoriale n’est pas un droit illimité à la subvention.
Elle doit être ciblée, contrôlée, évaluée et intégrée dans une stratégie globale de mobilité, assumée politiquement.
La Nouvelle-Calédonie ne manque ni de rapports ni de diagnostics.
Elle manque de décision, de discipline budgétaire et de courage politique pour sortir d’une logique de distribution automatique des aides.
Refuser les dérives n’est pas nier les réalités sociales.
C’est, au contraire, préserver durablement un principe essentiel, en le débarrassant de ses excès, de ses abus et de son instrumentalisation permanente.


















