Depuis la fin du XIXᵉ siècle, la science européenne entre dans une ère nouvelle, portée par la rigueur expérimentale et l’audace intellectuelle.
Le 26 décembre 1898 marque un tournant majeur : la radioactivité naturelle est officiellement révélée au monde savant.
Une révolution scientifique née d’une chaîne de découvertes européennes
L’histoire commence en 1895, lorsque le physicien allemand Wilhelm Röntgen met en évidence un rayonnement invisible capable de traverser la matière : les rayons X.
Cette découverte, rigoureusement expérimentale, bouleverse la physique classique et ouvre un champ de recherche inédit.
En France, le savant Henri Becquerel décide de vérifier si certains phénomènes de phosphorescence observés dans les sels d’uranium pourraient produire des effets comparables.
Le 1ᵉʳ mars 1896, dans son laboratoire du Muséum national d’Histoire naturelle, il constate qu’un sel d’uranium émet spontanément des rayonnements pénétrants, indépendamment de toute excitation lumineuse.
Becquerel parle alors de rayons uraniques.
Le phénomène intrigue mais reste considéré comme marginal : l’uranium est faiblement radioactif et sa période de désintégration est extrêmement longue, de l’ordre de 4,5 milliards d’années.
Après plus d’un an d’études, Becquerel juge le sujet épuisé et se tourne vers d’autres travaux.
C’est précisément à ce moment que la recherche française reprend l’avantage, grâce au travail patient et méthodique d’un couple hors norme.
Les Curie : rigueur, méthode et naissance du concept de radioactivité
En 1897, après la naissance de leur fille Irène, Marie Curie, née Sklodowska, décide de préparer une thèse de doctorat.
Elle choisit pour sujet l’étrange phénomène observé par Becquerel, convaincue que la science n’a pas dit son dernier mot.
Son mari, Pierre Curie, lui obtient un espace de travail modeste mais fonctionnel à l’École municipale de physique et de chimie industrielles de Paris.
Dans cet atelier rudimentaire, le couple met au point un dispositif de mesure d’une précision inédite : la méthode Curie, capable de détecter des courants électriques extrêmement faibles.
Grâce à cet outil, Marie Curie étudie systématiquement métaux, sels et minéraux.
Elle démontre que le thorium possède lui aussi cette capacité d’émission spontanée, indépendamment du chimiste allemand Gerhard Schmidt.
Elle formule alors une hypothèse décisive : le rayonnement est une propriété intrinsèque de l’atome.
Marie Curie franchit un pas conceptuel majeur en généralisant le phénomène et en lui donnant un nom : la radioactivité.
Dans une note publiée le 12 avril 1898, elle observe que la pechblende et la chalcolite sont bien plus actives que l’uranium pur, preuve qu’elles contiennent des éléments inconnus, infiniment plus puissants.
Pierre Curie abandonne alors ses propres recherches pour se consacrer entièrement à ce travail commun.
L’enjeu est immense : isoler des éléments présents à moins de 0,0001 % dans la roche, soit un grain de sel dans un gâteau.
Radium, polonium : une découverte française aux conséquences mondiales
Avec l’aide de collaborateurs comme Gustave Bémont, les Curie multiplient les opérations de séparation physico-chimique : extractions, chauffes, cristallisations successives.
Après chaque étape, la radioactivité est mesurée, seul indicateur fiable de la présence de l’élément recherché.
En juillet 1898, ils identifient un premier élément, quatre cents fois plus actif que l’uranium, aux propriétés proches du bismuth.
Ils le baptisent polonium, en hommage assumé à la Pologne natale de Marie Curie.
Mais c’est en décembre 1898 que survient la découverte décisive.
Dans la pechblende, ils mettent en évidence une seconde substance, aux propriétés chimiques voisines de celles du baryum, neuf cents fois plus radioactive que l’uranium.
Le 26 décembre 1898, Pierre et Marie Curie annoncent officiellement devant l’Académie des sciences l’existence de cet élément nouveau : le radium.
La portée de cette annonce est considérable.
Pour la première fois, la radioactivité n’est plus une curiosité marginale : elle devient un champ scientifique structurant, ouvrant la voie à la physique atomique, puis nucléaire.
L’extraction du radium nécessite toutefois un travail titanesque.
Des tonnes de pechblende, issues des mines de Joachimsthal, en Bohême, sont traitées afin d’obtenir quelques milligrammes de substance active.
En 1902, après une purification finale, Marie Curie parvient à isoler 0,1 g de chlorure de radium pur, permettant d’en déterminer la masse atomique.
Le 25 juin 1903, elle soutient à la Sorbonne sa thèse, Recherches sur les substances radioactives.
Elle devient la première femme docteure en sciences physiques à l’Université de Paris.
La reconnaissance internationale suit.
En décembre 1903, le prix Nobel de physique est attribué à Becquerel et aux Curie pour la découverte de la radioactivité.
En 1911, Marie Curie reçoit un second prix Nobel, cette fois en chimie, consacrant définitivement une œuvre scientifique d’exception.
Au-delà de la recherche fondamentale, le radium ouvre la voie à des applications majeures radiothérapie, médecine moderne, industrie mais aussi à une prise de conscience progressive des risques liés aux rayonnements.
Le 26 décembre 1898 reste ainsi une date clé de l’histoire des sciences : celle où la rigueur française a transformé une intuition en révolution scientifique durable, sans effets d’annonce, sans militantisme, mais par le seul travail, la méthode et l’excellence.

















