À la suite d’un communiqué de presse particulièrement alarmant du Syndicat des infirmiers et des aides-soignants des urgences (SIASU), La Dépêche a souhaité aller au-delà du constat. Le texte évoque des soignants « lassés, abîmés, écoeurés » et un système de santé calédonien « en danger ».
Pour comprendre les causes profondes de cette crise, mais aussi les solutions proposées par les professionnels de terrain, nous avons interrogé Yannick Roudaut, président du SIASU.
Un système à bout de souffle, des alertes répétées
Dans son communiqué daté du 15 décembre 2025, le SIASU dresse un constat sans détour. Depuis plus d’un an, les soignants multiplient réunions, échanges et propositions, sans avancée concrète. Selon le syndicat, les émeutes n’ont pas créé la crise : elles n’en ont été que le révélateur final.
« Nous sommes fatigués de répéter l’évidence. La situation est catastrophique », écrivent les soignants, dénonçant un immobilisme salarial, une absence de reconnaissance des spécificités et de la pénibilité, ainsi qu’une maltraitance institutionnelle persistante.
Sur le terrain, cette dégradation est déjà visible. Aux urgences, le service a dû fermer plusieurs jours au mois d’août, faute de personnel qualifié. La direction a elle-même communiqué publiquement sur la saturation. Certaines nuits, une deuxième équipe SMUR n’est pas disponible pour intervenir à domicile, par manque de soignants formés.
Yannick Roudaut rappelle que le métier d’urgentiste infirmier ne s’improvise pas. Il s’agit d’un long parcours, nécessitant un savoir-faire technique, un savoir-être, et une connaissance fine des réalités calédoniennes. Les urgences accueillent toute la société : détresse médicale, détresse psychiatrique, tous les âges, toutes les situations. La perte de compétences impacte directement la qualité et la sécurité des soins.
Des propositions connues, un immobilisme dénoncé
À la suite d’un mouvement de grève de l’UT CFE-CGC, deux étapes avaient pourtant été actées. D’abord, un texte dit « urgent », prêt à être voté dès juillet, destiné à stopper l’hémorragie de départs. Ce texte a franchi toutes les étapes administratives et attend toujours son passage en commission.
Ensuite, une réforme de fond devait permettre une équité globale, afin de redonner sens et considération aux métiers du soin.
Cinq mois plus tard, selon le syndicat, tout est à l’arrêt. Aucun retour officiel des élus. Aucune réponse aux courriers et au communiqué adressé à l’ensemble des responsables politiques. Le fossé entre les décideurs, l’administration et les soignants est désormais qualifié « d’abyssal ».
« Est-ce qu’il y a quelqu’un ? », interroge le communiqué, résumant un sentiment d’abandon largement partagé sur le terrain.
Effectifs en chute libre et décisions urgentes
Les chiffres avancés par le SIASU illustrent l’ampleur de la crise. Avant les émeutes, les urgences fonctionnaient avec 86 % de leurs effectifs infirmiers. Aujourd’hui, ce taux est tombé à 46 %. Une baisse massive, qui se traduit par une surcharge de travail, une fatigue extrême des équipes restantes et une exposition accrue aux risques.
Interrogé sur les responsabilités politiques, Yannick Roudaut se veut factuel. Il précise n’être qu’un infirmier et un rapporteur, laissant à chacun le soin de rendre des comptes. Les échanges ont eu lieu avec l’administration, notamment avec Thierry Santa, mais sans rencontre directe avec Claude Gambey.
Les solutions, en revanche, sont clairement posées. La priorité absolue reste le vote immédiat du texte urgent, afin de restaurer un lien de confiance avec les soignants. Vient ensuite la reconnaissance des spécificités et de la pénibilité des professionnels locaux, considérés comme les piliers du système.
Le syndicat plaide également pour la relance des formations internes, aujourd’hui stoppées faute de budget, afin de préserver le savoir-faire calédonien. Il critique une politique consistant à augmenter le nombre d’élèves sans disposer de suffisamment de lieux de stage, avec des taux d’échec élevés à la clé.
Enfin, la création d’un CESU digne de ce nom est jugée indispensable. Former la population aux gestes de premiers secours relève, selon le syndicat, d’un enjeu majeur de santé publique.
Un exemple cité par les soignants résume cette urgence : lors d’une intervention sur un arrêt cardiaque, un massage cardiaque était remplacé par un geste inadapté, sous le regard passif de la famille. « Voir cela en 2023 est catastrophique », écrivent-ils, y voyant le symptôme d’un déficit massif de formation.
À travers ce communiqué et cette interview, les soignants des urgences ne réclament ni promesses ni discours supplémentaires. Ils demandent des décisions immédiates. À défaut, préviennent-ils, c’est l’ensemble du système de santé calédonien qui risque un effondrement durable.

















