GABEGIE. De retour de Nouvelle-Calédonie, Marine Le Pen dénonce l’inaction du gouvernement, menace de censurer le budget et accuse Darmanin comme Retailleau de laisser le pays s’enfoncer.
Le JDD. Vous revenez d’un déplacement de plusieurs jours en Nouvelle-Calédonie. Quel est votre tout premier ressenti en retrouvant la métropole ?
Marine Le Pen. Je suis le dossier calédonien depuis vingt ans, je ne le découvre pas. Mais sur place, deux choses m’ont frappée. D’abord, la situation économique, catastrophique. La Nouvelle-Calédonie allait déjà mal avant les émeutes de mai 2024. Ces violences ont été le dernier clou dans le cercueil d’une économie qui avait pourtant été un modèle de prospérité outre-mer. Ensuite, j’ai vu deux peurs existentielles se faire face. Celle des loyalistes, qui craignent pour leur sécurité, leur avenir, parfois leur vie. Et celle des Kanaks, qui ont peur de perdre la maîtrise de leur destin, leurs traditions, leur culture. Ces deux peurs sont réelles, profondes et irréconciliables en l’état. Il faut donc bâtir une solution politique pour en sortir.
Votre proposition de « pause institutionnelle » a été vivement critiquée par les loyalistes. Est-ce la voie vers une solution durable ?
Aujourd’hui, il faut faire preuve de pragmatisme et constater les carences de l’accord de Nouméa. Ce n’est pas moi qui l’ai signé, mais les amis de Madame Backès. La vraie question, c’est comment combler ces lacunes, que nous avions déjà dénoncées à l’époque, comment éviter de répéter les mêmes erreurs et surtout bâtir un véritable rééquilibrage entre les provinces Nord et Sud. Pas un simple rééquilibrage social, avec des subventions versées pour acheter la paix civile – ce qu’on fait aussi en métropole –, mais un rééquilibrage économique profond et structurel qui permettra aux deux provinces de prospérer de façon autonome et durable.
Pensez-vous réellement pouvoir recréer de l’unité dans un territoire aussi divisé ?
Avoir un grand projet, des projets économiques d’envergure, ça rassemble. Ce qui divise, c’est de ne parler que de réforme institutionnelle, surtout quand elle est prise en otage par la radicalité des deux camps. Il m’est apparu très clairement que pour relancer l’économie calédonienne, il fallait d’abord un engagement fort de l’État, qui doit reprendre la main sur plusieurs dossiers clés : la filière nickel, évidemment – stratégique à l’échelle nationale et internationale –, mais aussi le projet d’une base interarmées, en phase avec nos intérêts stratégiques dans la région. Et puis des secteurs entiers sont laissés à l’abandon : enseignement, formation, agriculture… Il faut s’y atteler sans attendre.
« Chacun veut la défaite de l’autre, peu se soucient des Calédoniens »
Vous avez annoncé vouloir écrire à Emmanuel Macron pour participer aux discussions sur l’avenir de l’archipel. Que comptez-vous concrètement apporter à cette table ?
Je vais apporter à cette table le travail que nous avons mené, déjà transmis aux forces politiques calédoniennes. Il repose sur une conviction simple : tout le monde se bat pour avoir raison, mais pendant ce temps-là, la population souffre. J’ai été frappée par l’esprit de revanche qui domine le débat : chacun espère la défaite de l’autre, mais peu se soucient du quotidien des Calédoniens. Il faut aussi faire le bilan des compétences transférées. Tout le monde en réclame davantage, mais certaines ne sont ni exercées sérieusement ni finançables localement. Il faut remettre les choses à plat, évaluer ce qui fonctionne ou non et fixer un calendrier raisonnable. Un calendrier pour sortir par le haut, pas pour reculer encore.
Le projet de loi constitutionnelle prévoit de figer le corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Soutenez-vous cette réforme ?
Je suis favorable au dégel du corps électoral. Et je ne suis pas certaine que les indépendantistes y soient aussi opposés qu’on ne le pense. Leur véritable crainte, en réalité, c’est que ce dégel entraîne des conséquences politiques majeures – des décisions lourdes de sens – qui ravivent leur peur existentielle. C’est cette angoisse qui les rend prudents, voire méfiants. Ce qui est regrettable, c’est qu’une partie des loyalistes comprend parfaitement cette inquiétude. Mais une autre frange, plus radicalisée, est aujourd’hui dans une posture de plus en plus tendue et rigide sur ce sujet. Et cela complique toute recherche de consensus.
Dans le Sud, notamment à Nouméa, l’insécurité progresse. Quelles mesures concrètes de sécurité ou de justice proposez-vous pour y répondre ? C’est un sujet majeur…
Vous avez raison, c’est un sujet majeur. Mais notre Code pénal est suffisamment armé pour y répondre. Le vrai problème n’est pas juridique, il est politique et économique. Même en dehors des émeutes, l’insécurité progresse, notamment à Nouméa. Pourquoi ? Parce que la fermeture de l’usine du Nord a détruit tout un tissu économique – chantiers, sous-traitants, logements. Des familles sans ressources ont afflué vers la capitale et cette pression sociale nourrit la délinquance. Pour rétablir l’ordre, il faut d’abord relancer l’économie.
Le cas de la Nouvelle-Calédonie soulève une question plus large : faut-il aller vers davantage d’autonomie ou vers une intégration renforcée des outre-mer ?
Vers davantage d’autonomie, ce qui, soyons clairs, ne signifie pas l’indépendance. Réfléchir à cela pour les outre-mer me paraît naturel. Ce sont des territoires contraints, éloignés de la métropole, insérés dans des environnements régionaux différents auxquels ils doivent pouvoir s’adapter. Je ne suis donc pas opposée à une plus grande autonomie, ni à l’assouplissement de certaines règles. Mais cela suppose un cadre clair et un financement adapté. On ne peut pas transférer des compétences sans les moyens. L’autonomie ne doit jamais être un abandon déguisé.
Vous êtes rentrée dimanche dernier à Paris, après une nuit marquée par des violences lors de la célébration de la victoire du PSG. Quel sentiment portez-vous sur ces événements ?
Un sentiment identique à celui de l’immense majorité des Français : de l’inquiétude et la certitude que plus rien n’est maîtrisé en France. Un sentiment de perte : perte de l’insouciance, perte de ces moments festifs qui, aujourd’hui, sans exception, dégénèrent en pillages, en violences, en destructions. Avant même ces événements, j’avais acquis la conviction qu’il fallait serrer la vis. On ne peut plus, au gré des volontés destructrices des uns et des autres, se contenter de constater la dégradation continue de la situation.
« Les mots n’arrêtent ni les voyous, ni les criminels »
Les peines prononcées en comparution immédiate après les violences (sursis, aménagements) font débat. Estimez-vous qu’il y a un manque de fermeté dans la réponse judiciaire ?
Bien sûr, mais quelles consignes sont données à la justice ? Y a-t-il eu des circulaires pénales adressées aux procureurs ? Quand on voit les peines prononcées, on aimerait aussi connaître les réquisitions. Car le parquet suit une ligne définie par l’État – pas dossier par dossier, mais dans l’orientation générale. Il revient au ministère de la Justice de dire clairement : « Nous vous demandons de requérir les peines les plus lourdes. » Et j’ai la conviction que dans ce cas, les réquisitions ont été aussi faibles que les jugements. Tout est à revoir.
Vous critiquez à la fois Gérald Darmanin et Bruno Retailleau. Les tenez-vous directement responsables des violences et des dégradations ?
Soit il y a une responsabilité politique, soit plus personne n’est responsable de rien. Mais à partir du moment où ces graves événements ont eu lieu, deux options existent : soit le gouvernement a fait le nécessaire – et il doit le démontrer –, soit il ne l’a pas fait, et alors il est évidemment comptable de ce fiasco.
En tant que chef de l’opposition, si vous jugez ce gouvernement inefficace, pourquoi ne pas déposer une motion de censure pour le faire tomber ?
Si on devait faire tomber le gouvernement à chaque défaut, on le ferait huit fois par jour. Ce qui m’inquiète, c’est que certains encensent M. Retailleau simplement parce qu’il est de droite – comme ils l’ont fait hier avec M. Barnier. Peu importe qu’il mène une politique laxiste, on lui trouve des excuses. Moi, je ne lui en trouve aucune. Rien ne montre que la dégradation du pays – insécurité, impunité, immigration dérégulée – soit enrayée. On aurait pu attendre un vrai cap, des actes forts. Il n’y a que des mots. Et les mots n’arrêtent ni les voyous, ni les criminels. Si on ne les arrête pas, si on ne les expulse pas le cas échéant, si on n’arrête pas de les accueillir sur notre sol, ils ne s’arrêteront pas.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que vous redoutez Bruno Retailleau ?
Je fais trop confiance à l’intelligence des Français pour craindre Bruno Retailleau. Nos compatriotes verront que ses résultats ne sont pas à la hauteur des attentes et que ses décisions ne répondent pas à l’urgence de la situation. La réalité est que le peuple français a peur – et il a raison. L’insécurité et la violence progressent de façon exponentielle, comme l’immigration. Toutes les statistiques publiques le démontrent chaque jour.
Dans nos colonnes, la ministre du Budget affirme que l’essentiel des efforts viendra d’économies sur les dépenses de l’État. Cela pourrait-il vous conduire à ne pas censurer le gouvernement ?
Évidemment que nous ne voterons pas ce budget : nous sommes en désaccord avec la politique de M. Bayrou. Madame de Montchalin promet qu’il n’y aura pas de hausse d’impôts, ce qui est faux. Baisser les remboursements de médicaments ou désindexer les retraites, ce n’est pas un impôt en plus, mais c’est une perte de pouvoir d’achat. Le gouvernement joue sur les mots pour éviter de réduire les dépenses publiques. Notre rôle est de protéger les Français et d’exiger des économies sur les dépenses inutiles – notamment celles liées à l’immigration, légale ou clandestine. Nos propositions sont sur la table depuis longtemps. Mais M. Bayrou préfère toujours demander des efforts aux Français… jamais aux étrangers. Or, nous avons mis en évidence le fait qu’au moins 16 milliards d’euros pouvaient être récupérés par la mise en œuvre de notre programme en matière d’immigration.
« Si le budget suit la ligne de M. Bayrou, nous le changerons »
La ministre écarte également toute hausse de la TVA. Est-ce un point qui vous rassure ?
Je suis opposée à la TVA sociale, un impôt injuste qui pénalise d’abord les classes populaires et moyennes. C’est une réalité : ces Français consacrent l’essentiel de leurs revenus à la consommation. Par définition, une hausse de TVA les frappe plus que les autres. Si le budget suit la ligne défendue par M. Bayrou – demander encore des sacrifices aux Français, taper sur les mêmes – alors non seulement nous ne le voterons pas, mais nous le changerons.
Lundi, vous réunissez plusieurs dirigeants européens dans le Loiret, dont Viktor Orbán et Matteo Salvini, un an après ce que vous avez appelé le « triomphe des européennes ». Quel est le sens de ce rassemblement ?
Le message, c’est que notre travail en Europe commence à porter ses fruits et qu’il faut poursuivre l’effort. Les récents résultats en Pologne sont encourageants [Avec l’élection de Karol Nawrocki, nationaliste conservateur, NDLR]. En Roumanie, la moitié des électeurs rejettent le fonctionnement actuel de l’Union. Mais surtout, les votes obtenus la semaine dernière à l’Assemblée nationale, sur les ZFE ou les normes infligées à nos agriculteurs, montrent qu’on peut faire reculer l’écologie punitive et ce Green Deal absurde auquel Bruxelles s’accroche. Ce sont de vraies victoires. Je suis convaincue qu’elles en annoncent d’autres, plus décisives encore.
@Propos recueillis par Jules Torres
@AFP / © Delphine Mayeur