126 vies englouties, aucune épave retrouvée : le naufrage du caboteur La Monique reste l’un des drames les plus marquants de l’histoire calédonienne. Plus de sept décennies après, les questions demeurent, les hommages se multiplient… et les familles n’ont toujours pas fait le deuil.
Un départ tranquille, une disparition brutale
Le 22 juillet 1953, La Monique quitte Nouméa pour les îles Loyauté. Elle doit revenir le 31. Ce jour-là, le capitaine affirme que “tout va bien à bord”, dans une ultime communication radio. Le bateau appareille à 14 h de Maré. La mer est calme, la météo parfaite, et pourtant… La Monique disparaît sans un appel de détresse, sans une trace.
À bord, 126 personnes : des passagers, des marins, des familles entières. Le lendemain matin, aucune arrivée à Nouméa, malgré l’attente au quai. Les appels radio restent désespérément vains. Très vite, un vaste dispositif de recherche est déclenché. En vain.
Avions, navires, sonars, drones sous-marins : rien. Pas une épave, pas un corps, seulement quelques fûts et des traces de mazout. En 70 ans, les investigations n’ont jamais permis d’expliquer ce qui s’est réellement passé ce soir du 31 juillet 1953, entre Maré et le Canal de la Havannah.
Des hypothèses par dizaines, une vérité toujours enfouie
La Monique était-elle surchargée ? C’est l’un des axes les plus crédibles. Le caboteur transportait bien plus que son tonnage autorisé. 254 tonnes de fret pour une capacité autorisé de 250, selon les estimations. Maïs, essence, coprah : le pont était archi-chargé. Plusieurs témoins évoquent une gîte importante au départ de Tadine.
Mais d’autres pistes sont évoquées. Un acte de piraterie ? Une explosion ? Un feu à bord ? Une mine immergée ? Même des théories dignes du triangle des Bermudes sont ressorties. Un dégazage d’hydrate de méthane, un tourbillon sous-marin, une anomalie magnétique ?
Mais aucune preuve, aucun débris significatif n’a jamais confirmé quoi que ce soit. En 2011 encore, l’association Fortunes de mer calédoniennes tente une nouvelle expédition avec un sonar et un robot sous-marin, à plus de 500 m de profondeur. Rien de concluant.
Certains descendants ne veulent plus de recherches : pour eux, le navire est devenu un mausolée marin, à laisser en paix. D’autres, au contraire, réclament la vérité, pour enfin faire leur deuil.
Une mémoire vivante, transmise entre les générations
La Monique n’était pas qu’un bateau. Elle était un concentré de Nouvelle-Calédonie : des Kanak des Loyauté, des Européens, des Vietnamiens, un Vanuatais, des gendarmes, des infirmières, des religieux, un jeune étudiant, et même l’épouse du capitaine. Un microcosme calédonien englouti en une nuit, laissant derrière lui des familles brisées dans tout le pays.
Le drame a modifié les pratiques maritimes en Nouvelle-Calédonie : formation des marins, contrôles renforcés, normes plus strictes… mais pour les proches, cela ne remplacera jamais la réponse concrète.
Le 31 juillet 2025, à Maré, Lifou et Nouméa, des cérémonies de recueillement ont marqué les 72 ans de la tragédie. Comme chaque année, les gerbes, les prières et la coutume ont rappelé que ce naufrage n’était pas un fait divers, mais une blessure encore à vif.
À Nouméa, une stèle a été inaugurée en juillet 2023 place du marché, en mémoire des disparus. À travers les hommages, la mémoire de La Monique reste vivante, partagée, transmise, notamment grâce aux livres, films et documentaires réalisés ces dernières années.
En 1953, la Nouvelle-Calédonie comptait 72 500 habitants. La disparition de 126 d’entre eux, soit 1 habitant sur 600, a bouleversé toutes les communautés. Un tiers des victimes venait de la Grande Terre, les autres des Loyauté. Tous ont été embarqués dans un destin tragique.
Soixante-douze ans plus tard, l’absence de l’épave reste un vide insupportable pour de nombreuses familles. Tant que La Monique ne sera pas retrouvée, la Calédonie restera orpheline de cette part de son histoire.