À une semaine de la reprise politique, une décision radicale fait scandale à Maré.
La chefferie du royaume de Gureshaba interdit purement et simplement la venue des non-indépendantistes pour expliquer l’accord de Bougival. Motif invoqué : le refus du deuil et les tensions postérieures à mai 2024. En réalité, ce sont la liberté d’expression, de circulation et d’opinion qui se trouvent ici frontalement attaquées.
Une décision coutumière qui piétine les principes démocratiques
Dans un courrier daté du 1er août 2025, le conseil des chefs de clan et le souverain du royaume de Gureshaba annoncent leur décision d’interdire toute tournée d’explication menée par les signataires de l’accord de Bougival sur leur territoire. À peine dissimulée derrière des formules de deuil, cette prise de position marque une rupture grave avec les libertés fondamentales.
Les autorités coutumières ne se contentent pas d’interdire la réunion publique : elles refusent même aux signataires non-indépendantistes le droit d’atterrir à l’aéroport de La Roche, qualifiant leur tournée d’« affrontement » ou de « manipulation ». En d’autres termes, un territoire entier se ferme au débat démocratique sous couvert d’une autorité traditionnelle.
Le courrier ne s’embarrasse d’ailleurs d’aucune nuance : il assimile les représentants non-indépendantistes à ceux qui « se réjouissaient de la mort et de la torture » des jeunes Kanak — sans preuve, sans procédure contradictoire, sans considération pour l’État de droit. Une dérive grave, qui criminalise l’opinion contraire.
Bougival : un accord que l’on n’a plus le droit d’expliquer à Maré
Le paradoxe est total : l’accord de Bougival, censé poser les bases d’un futur apaisé, est interdit de parole dans certaines parties du territoire. La chefferie affirme ainsi son rejet catégorique de tout discours politique jugé contraire à ses positions. Le projet de Bougival, porté par une partie des élus loyalistes et indépendantistes modérés, n’a même plus droit de cité dans certaines zones de la province des Îles.
Pire encore, la lettre invoque un « goût amer » pour justifier cette exclusion : un ressentiment subjectif érigé en norme locale, qui bafoue les droits constitutionnels des citoyens calédoniens. Les mots sont durs, les intentions limpides : faire taire toute voix divergente et empêcher le peuple de se forger une opinion libre.
À travers cette posture autoritaire, c’est une logique de territoire fermé, d’intimidation et de pensée unique qui s’installe. Le discours coutumier se veut intouchable, mais il s’arroge ici un droit de censure absolu. La contradiction ? Elle n’a plus sa place à Gureshaba.
Un précédent inquiétant pour la Nouvelle-Calédonie
Cette affaire dépasse largement le seul royaume de Gureshaba. Elle pose une question brûlante : dans quelle mesure la coutume peut-elle s’opposer frontalement aux libertés publiques garanties par la République ? Peut-on accepter que la chefferie interdise à des élus, des citoyens, des représentants légitimes, de parler sur le sol de la République ?
Ce n’est pas un conflit entre coutume et politique. C’est une dérive autoritaire. En assimilant toute parole non-indépendantiste à une provocation, en fermant les portes à la liberté d’expression, la décision prise à Maré ouvre une brèche dangereuse pour l’avenir calédonien.
Il est illusoire de parler de paix si la parole est unilatérale. La démocratie calédonienne ne peut s’enraciner dans la censure. Ni l’émotion légitime du deuil, ni le respect dû aux autorités coutumières ne peuvent justifier une telle restriction du débat.
Le droit d’expression est une pierre angulaire du vivre-ensemble. Le nier, c’est fragiliser toute tentative d’accord, quel qu’il soit. Et si demain, d’autres chefferies s’alignaient sur Gureshaba ? Si d’autres territoires devenaient interdits à ceux qui pensent autrement ? Le risque est là. Palpable.