La SACENC, pilier des droits d’auteur en Calédonie, reste minée par ses dérives financières et ses tensions internes. Frais exorbitants, gouvernance douteuse, artistes lésés, évènements à caractère de propagande : retour au cœur d’un scandale qui secoue la culture calédonienne.
La SACENC, censée protéger les artistes et garantir une juste rétribution de leurs œuvres, a été accusé de pratiques financières opaques. La Chambre territoriale des comptes a révélé des anomalies criantes. Alors, la SACENC a-t-elle vraiment défendu la création locale ou s’est-elle transformée en pompe à fric au détriment des musiciens et du public ?
La SACENC, clé de voûte des droits d’auteur en Nouvelle-Calédonie
Créée pour défendre les intérêts des créateurs, la Société des auteurs et compositeurs de Nouvelle-Calédonie (SACENC) occupe une place incontournable dans la vie culturelle locale. Sa mission : collecter les droits d’auteur et les redistribuer aux artistes. En clair, chaque fois qu’une musique est diffusée à la radio, jouée en concert ou utilisée dans un événement, la SACENC intervient pour s’assurer que les créateurs soient rémunérés.
Ce dispositif, calqué sur le modèle de la SACEM en métropole, a longtemps été salué comme un progrès pour les artistes calédoniens.
Sans la SACENC, nombre de musiciens locaux n’auraient jamais perçu un centime sur leurs œuvres
rappelle un ancien administrateur. Cependant derrière le vernis culturel, la SACENC traîne des casseroles. Les contrôleurs publics ont découvert que le président et les administrateurs touchaient des indemnités contraires aux statuts. Or, la loi est claire : ces fonctions doivent être bénévoles.
On a franchi une ligne rouge : quand l’argent des artistes sert à payer ceux qui devraient les défendre
dénonce un sociétaire. La CTC parle même d’une « absence d’agrément légal » : autrement dit, l’organisme collecte et redistribue sans base juridique solide. Un vrai problème de légitimité.
Des dérives financières qui ternissent l’image
Entre 2019 et 2023, les administrateurs se sont octroyés 4,6 millions de francs CFP de primes, dont 1 million pour le seul président. Problème : rien dans les statuts de l’association n’autorisait ces versements. Ils sont donc considérés comme hors la loi.
En parallèle, la SACENC mettait en avant ses chiffres de redistribution. En 2024, l’organisme a reversé 75 millions de francs CFP aux artistes locaux. Une somme record qui donne l’image d’un système en bonne santé… mais qui cache mal les soupçons de mauvaise gestion.
On distribue aux artistes pour redorer le blason, tout en s’accordant des avantages personnels
dénonce un membre critique. En 2023, sur 232 millions de francs collectés, 45 % sont partis en frais de gestion et charges internes, loin du standard international qui plafonne à 30 %.
Quand presque un franc sur deux disparaît dans les tuyaux administratifs, qui peut encore croire que la SACENC a été au service des artistes ?
interroge un producteur local. Le système de collecte repose sur la déclaration volontaire des diffuseurs, sans vérification réelle. Résultat : des recettes en chute de 13 % entre 2019 et 2023.
C’est une passoire, on sait que beaucoup échappent à la déclaration
regrette un musicien. Et quand l’argent arrive enfin, il reste coincé : la trésorerie représente 134 % des droits perçus, signe de retards massifs dans le reversement. Les artistes attendent pendant que la SACENC engrange. Le contraste est flagrant : la trésorerie explose, mais les droits reversés stagnent. Pour beaucoup, la SACENC s’est muée en structure de rente plus qu’en moteur culturel.
Liberté d’expression sous pression
La polémique n’est pas seulement financière. Elle touche aussi à la démocratie interne de l’institution. Lors d’une assemblée générale, un artiste connu sous le pseudonyme Kydam a été exclu pour avoir réalisé des clips dénonçant la gestion de la SACENC.
Cette éviction est perçue par beaucoup comme un signal inquiétant :
Quand un organisme qui vit de la création artistique ne supporte pas la critique, on n’est plus dans la défense des auteurs mais dans la censure
estime un musicien local.
Un système toujours en place mais en perte de légitimité
La Chambre territoriale des comptes a formulé des rappels de droit clairs : obtenir un agrément officiel, mettre fin aux rémunérations illégales, réduire les frais, renforcer les contrôles.
Si la SACENC n’applique pas ces mesures, c’est toute sa crédibilité qui sera emportée
prévient un expert de la gestion publique. Pourtant, peu de signes de changement. Le malaise grandit, et avec lui la question : la SACENC est-elle encore légitime à représenter les créateurs ?
Malgré ces dérives, la SACENC fonctionne toujours aujourd’hui. Elle continue de percevoir les droits d’auteur et de les reverser aux artistes. Mais la confiance s’est fissurée. Pour nombre de créateurs, l’organisme est devenu synonyme de gestion opaque, privilèges cachés et atteintes à la liberté d’expression.
La SACENC est indispensable pour la culture calédonienne, mais elle doit redevenir transparente, sinon elle sera perçue comme un outil détourné
avertit un ancien salarié.
Ce qui devait être une institution au service des artistes calédoniens ressemble aujourd’hui à une machine grippée, où les frais dévorent les droits et où la gouvernance se nourrit d’avantages indus. L’affaire SACENC pose une question qui dérange : en Nouvelle-Calédonie, la culture est-elle gérée dans l’intérêt de ceux qui la font vivre ou dans celui de ceux qui administrent ? Il est temps de briser l’omerta.