Le 21 octobre 1680, Louis XIV ne signe pas un simple décret : il grave dans le marbre l’idée même de la culture française. En fondant la Comédie-Française, le Roi-Soleil crée le premier théâtre permanent de France et consacre un art appelé à rayonner dans toute l’Europe.
La décision d’un roi pour dompter le chaos des troupes
En 1680, Paris bruisse de rivalités théâtrales. L’Hôtel de Bourgogne, l’Hôtel Guénégaud, le Théâtre du Marais : autant de compagnies qui s’arrachent textes, acteurs et spectateurs.
Le roi, lassé de cette anarchie artistique, tranche net. Par lettre de cachet, il fusionne les troupes et impose l’unité : la Comédie-Française est née.
Ce geste d’autorité, typique du style louis-quatorzien, vise à élever l’art dramatique au rang d’institution royale. Désormais, les comédiens, choisis pour leur talent, jouent sous l’égide du roi.
Molière, mort sept ans plus tôt, devient leur figure tutélaire. À chaque représentation du Malade imaginaire, un silence solennel est observé lorsqu’Argan prononce le « Juro », hommage éternel au maître disparu.
Six coups de bâton, au lieu des trois traditionnels, rappellent aujourd’hui cette fusion historique entre troupes jadis ennemies.
Le théâtre français contre la mode italienne
Le Roi-Soleil entend aussi protéger la langue et l’esprit français. Face à la « comédie italienne », frivole et improvisée, Louis XIV impose un théâtre fondé sur la rigueur, la morale et la beauté du verbe.
Sous sa tutelle, la Comédie-Française devient le sanctuaire des grands auteurs classiques : Racine, Corneille, Molière. Leur langue claire, leur style noble et leur patriotisme implicite forment les piliers d’un art qui parle à la nation.
La troupe s’impose rapidement comme le cœur battant de la culture royale, là où l’on enseigne le goût, la mesure et la grandeur française.
Ce théâtre, héritier direct de Versailles, incarne une idée forte : l’excellence culturelle doit être nationale, pas importée.
De Napoléon à aujourd’hui : une institution indestructible
La Révolution tente de dissoudre la troupe ? Elle renaît. Le Directoire lui offre en 1799 la salle Richelieu, au Palais-Royal, où elle brille toujours.
Napoléon, admirateur de l’ordre et du mérite, la rebaptise « Théâtre de Sa Majesté l’Empereur » et la protège par décret. Il lui donne un règlement en 1812, toujours appliqué.
Même en pleine campagne de Russie, l’Empereur signe le texte à Moscou, preuve que le théâtre français, symbole du génie national, ne meurt jamais.
Deux siècles plus tard, la Comédie-Française est un établissement public unique, la seule scène française à disposer d’une troupe permanente.
Ses trois lieux : la salle Richelieu, le Vieux-Colombier et le Studio-Théâtre, accueillent un répertoire de plus de 3 000 pièces, de Molière à Hugo, de Musset à Ionesco.
Aujourd’hui encore, la Comédie-Française demeure la Maison de Molière, le temple du verbe et de la discipline, là où la langue française se met en scène avec fierté.
Elle n’est pas seulement un théâtre : c’est un symbole de continuité, d’exigence et d’excellence nationale.
En 1680, Louis XIV voulait un théâtre à la gloire du royaume. Il a, sans le savoir, créé un patrimoine vivant, où la France se regarde, s’entend et s’admire.
De Versailles à la salle Richelieu, de Racine à Hugo, le théâtre français est devenu une institution, une religion laïque du beau et du vrai.
Et c’est peut-être là le plus bel héritage du Roi-Soleil : avoir fait du théâtre non pas un divertissement, mais une mission de civilisation.