Les chiffres tombent, implacables : en Polynésie française, le crédit devient un révélateur social, économique et politique.
Au troisième trimestre 2025, un constat domine : les ménages paient toujours plus cher, sauf lorsqu’il s’agit d’habitat.
Découverts et consommation : une Polynésie qui paie trop cher
Le premier choc, c’est celui des découverts. En Polynésie française, le taux moyen atteint 11,46 %. Un niveau anormalement élevé, presque punitif, surtout quand on observe la faiblesse des variations : seulement –6 points de base sur trois mois. Ce n’est pas un ajustement, c’est une stagnation. Une forme d’inertie qui frappe de plein fouet les ménages déjà éprouvés par le coût de la vie.
Ce taux exorbitant ne sort pas de nulle part : il traduit la dépendance aux facilités de trésorerie dans un territoire où le pouvoir d’achat est fragilisé et où le recours au découvert devient souvent un amortisseur de survie. Mais cet amortisseur coûte cher, très cher. Ici, ce n’est pas la solidarité qui joue : c’est l’intérêt bancaire brut.
Les prêts personnels, incluant crédits à la carte, achats à tempérament et financements divers, restent eux aussi sur un plateau élevé : 6,96 %, soit +5 points de base sur trois mois. Aucune dynamique de détente, aucun signe d’alignement vers le bas. La Polynésie évolue dans une zone tarifaire largement supérieure à la France hexagonale et même à la Nouvelle-Calédonie. Là où d’autres territoires bénéficient d’un reflux des taux, la Polynésie reste sous tension.
Ce blocage pose une question centrale : pourquoi ce maintien de taux élevés dans un territoire où la dépendance au crédit de consommation est structurelle ? Les banques invoquent souvent les risques, la dispersion géographique, les coûts logistiques. Mais pour les ménages, la conséquence est simple : le crédit du quotidien est l’un des plus chers du Pacifique.
Habitat : la seule véritable respiration pour les familles polynésiennes
Heureusement, un secteur échappe à cette pression : le crédit à l’habitat. Sur ce terrain, la Polynésie enregistre une détente bienvenue : 3,01 %, soit –21 points de base. Une baisse réelle, solide, qui fait de ce segment le plus attractif du territoire. Pour les familles polynésiennes, c’est un souffle. Dans un marché foncier tendu, parfois verrouillé par l’indivision, ce recul des taux constitue une fenêtre d’accès au logement.
Contrairement aux découverts ou aux crédits à la consommation, l’habitat bénéficie d’une politique plus souple des banques locales. L’objectif est clair : maintenir une dynamique résidentielle pour éviter la paralysie du marché. Cette stratégie s’explique : un logement financé, c’est un chantier activé, des emplois maintenus, une circulation accrue dans l’économie réelle.
Cette baisse rapproche même la Polynésie des standards hexagonaux. Alors que d’autres indicateurs se situent très au-dessus de la moyenne française, l’habitat polynésien devient un secteur compétitif. Un contraste frappant avec les autres produits bancaires du territoire.
Là encore, ce n’est pas anodin : lorsque les institutions locales veulent soutenir une politique publique, elles ajustent les taux. Lorsque ce soutien n’est pas une priorité, les ménages absorbent seuls le choc. L’habitat devient ainsi le miroir des priorités économiques du territoire.
Des données massives pour un diagnostic sans appel
Tous ces chiffres reposent sur une collecte impressionnante. Chaque trimestre, l’IEOM Polynésie française exploite environ 120 000 déclarations issues des établissements bancaires et sociétés financières du territoire. La méthode, alignée sur les standards européens, repose sur les taux TESE, les pondérations par montant et une catégorisation précise : crédits à l’habitat, découverts, crédits revolving, prêts personnels.
Cette rigueur méthodologique permet une lecture claire : la Polynésie française évolue dans un modèle financier dual. D’un côté, l’habitat est soutenu, raisonnable, presque protecteur. De l’autre, la consommation et les découverts restent écrasants, alimentant une spirale de fragilisation des ménages.
Cette structure reflète un choix politique implicite : favoriser l’investissement résidentiel mais laisser la consommation sous contrainte. Le problème, c’est que la réalité polynésienne est profondément dépendante du crédit de consommation pour absorber les chocs. Tant que les taux resteront à ce niveau, le pouvoir d’achat continuera de s’effriter.
Les comparaisons avec la Nouvelle-Calédonie sont révélatrices. Là-bas, les taux reculent presque partout. Ici, ils restent hauts, lourds, persistants. Un signe qu’il manque un véritable pilotage stratégique autour du crédit du quotidien.
Ce trimestre 2025 révèle une vérité que beaucoup préfèrent éviter : la Polynésie française n’est pas victime d’un système bancaire injuste, elle est prisonnière d’un modèle qu’elle n’ose pas réformer. Tant que le crédit de consommation restera hors de prix, les ménages continueront de payer pour compenser des fragilités structurelles qu’aucune mesure n’adresse.
À l’inverse, dès que le territoire choisit d’agir comme pour l’habitat les résultats apparaissent. Ce contraste n’est pas neutre : il montre que le crédit n’est pas qu’un indicateur économique, mais un acte politique. Là où il y a volonté, il y a baisse. Là où il n’y en a pas, il y a stagnation.
La Polynésie est donc à un tournant. Soit elle accepte de rééquilibrer son modèle bancaire pour soulager les familles, soit elle continue sur la voie actuelle : un territoire où l’accès au logement progresse mais où la vie quotidienne coûte toujours plus cher, jusqu’à l’asphyxie.
Et dans un Pacifique de plus en plus concurrentiel, ceux qui maîtrisent leur crédit maîtrisent leur destin économique.

















