Il y a des textes politiques qui respirent la sincérité, le courage et la lucidité. Et puis il y a les adieux version Dalida de Philippe Gomès : « Je vous quitte… mais surtout ne bougez pas, je reviens ». Une dernière danse, un dernier tour de piste, un dernier numéro où l’on fait semblant de s’incliner pour mieux remonter sur scène dans les jours qui suivent. Quarante ans de vie publique, et toujours cette incapacité chronique à entendre ce que les Calédoniens lui répètent depuis 2019 : assez, stop, rideau. Quatre défaites successives, humiliantes, nettes, sans ambiguïté. Et pourtant, il fait comme si de rien n’était. Il ne voit pas. Il n’entend pas. Ou plutôt : il refuse de voir et s’interdit d’entendre.
Son texte nostalgique, saturé de références historiques, n’a qu’un seul objectif : s’auto-ériger en monument national, en témoin indispensable, en pilier éternel d’une histoire dont il se considère encore comme l’un des derniers gardiens. Une manière élégante de ne pas dire ce qu’il fait réellement : s’accrocher. S’accrocher au fauteuil, s’accrocher au parti, s’accrocher au rôle, s’accrocher à cette lumière dont il ne peut manifestement plus se passer. Car Gomès ne fait plus de politique pour la Nouvelle-Calédonie depuis longtemps. Il fait de la politique pour Philippe Gomès.
Son bilan, il le connaît mieux que personne : une traversée du désert électoral dont personne ne revient indemne, sauf lui, qui parvient toujours à transformer la déroute en chapitre héroïque de ses mémoires. À chaque élection, les Calédoniens l’ont renvoyé à la réalité. À chaque fois, il a décidé que la réalité n’était qu’une opinion parmi d’autres. C’est sans doute cela, la véritable performance : réussir à perdre autant, aussi fort, aussi souvent, et continuer malgré tout à expliquer qu’il reste parce que l’histoire a encore besoin de lui.
Le passage le plus saisissant de son texte n’est pourtant pas celui où il convoque Lafleur, Ukeiwé et les fantômes d’une époque révolue. Non. Le vrai moment de théâtre, c’est celui où il feint l’indignation face à son inéligibilité « provisoire », comme si la justice, soudain, s’était liguée contre lui pour perturber son dernier acte. La présomption d’innocence, certes. Mais ce discours de martyr moderne, victime d’une « nouvelle mode judiciaire », sonne faux. Très faux. Personne n’a oublié que la sanction ne tombe pas du ciel, et que s’il en est là aujourd’hui, c’est aussi le fruit de ses propres choix. Mais dans sa narration personnelle, il est toujours l’homme qui subit, jamais l’homme qui répond.
Et puis, comme toujours, la pirouette finale : il ne sera plus élu, mais il restera. Il participera, il conseillera, il orientera, il pèsera. Dans son mouvement. Dans le débat. Dans la construction de Bougival. Dans l’avenir institutionnel. Dans tout ce qui peut lui permettre de rester présent, encore, encore un peu, encore trop. Il annonce son départ, mais seulement pour mieux justifier son retour. On connaît la chanson. Elle tourne en boucle depuis des années.
Ce texte n’est pas un adieu. C’est un message codé : Je reste. Je resterai. Je resterai toujours. Et tant pis si les Calédoniens ont déjà tourné la page. Tant pis si les urnes lui ont expliqué, plusieurs fois, que cette époque est derrière nous. Tant pis si l’usure est totale, si le costume est élimé, si la crédibilité s’effrite. Il s’accroche, convaincu d’incarner encore quelque chose. Il incarne surtout ce que la politique a de pire : l’incapacité à partir.
Philippe Gomès aura passé 13 696 jours dans les travées du pouvoir. Peut-être est-ce finalement cela, le problème. À force d’y vivre, il a fini par croire qu’il y avait sa chambre. Et qu’on ne quitte jamais vraiment sa propre maison.
Pourtant, il va falloir y penser. Un jour. Pour de vrai. Parce que la politique calédonienne a besoin d’avenir, pas d’archives. Et que le pays a déjà suffisamment de difficultés pour continuer à porter des carrières qui ne savent plus s’arrêter.



















