Deux siècles plus tard, le débat choque encore : comment une machine a-t-elle pu symboliser à la fois la justice, l’égalité et la sauvagerie révolutionnaire ?
Le 1er décembre 1789, un médecin député s’apprête à bouleverser à jamais la justice pénale française.
Un projet présenté comme « humaniste » : la promesse d’une justice égale pour tous
En pleine effervescence révolutionnaire, un médecin devenu député, Joseph Guillotin, lance un pavé dans la mare : instaurer une justice uniforme, sans privilèges, sans passe-droits, où le noble comme le roturier subiraient la même sanction. Pour les révolutionnaires, l’idée est séduisante : mettre fin aux supplices de l’Ancien Régime, souvent réservés au peuple, tandis que les élites se contentaient d’une décapitation rapide par la main d’un bourreau.
À la tribune, Guillotin défend un principe simple : « mêmes crimes, mêmes peines ». Une égalité radicale, saluée par certains comme une avancée, dénoncée par d’autres comme une mécanique froide, digne d’une France qui s’embrase.
Le 3 juin 1791, l’Assemblée constituante entérine sa logique : tout condamné à mort sera décapité, et le supplice sera identique pour tous. Une décision politique forte, théoriquement au nom de la justice, mais qui ouvre la porte à une industrialisation de la peine capitale. Loin des idéaux romantiques, la Révolution prépare un outil implacable.
Pour mettre au point l’appareil, l’Assemblée sollicite un chirurgien réputé : Antoine Louis, figure scientifique, rigoureuse et méthodique, chargé de concevoir un dispositif fiable.
La fabrication d’une machine « efficace » : précision chirurgicale et froideur mécanique
Antoine Louis ne part pas de rien. Il reprend le principe d’un engin venu d’Écosse : deux montants en bois, une lame guidée, un choc fulgurant. Mais le chirurgien améliore le concept : il abandonne la forme courbe du couperet pour un tranchant en trapèze, bien plus performant, dont l’angle garantit une décapitation nette.
Pour prouver l’efficacité du mécanisme, les tests sont menés à Bicêtre. Les moutons tombent les uns après les autres, suivis de cadavres humains. La mécanique impressionne : la mort est quasi instantanée, loin des approximations de la hache ou des échecs répétés de la roue.
Les promoteurs de l’engin y voient une avancée « humanitaire » : une mort rapide, propre, sans souffrance apparente. Mais derrière cet argument se cache une autre réalité : la machine permet de juger vite, d’exécuter vite, dans une France où la justice expéditive deviendra bientôt la marque de la Terreur.
Le 25 avril 1792, un voleur violent, Nicolas-Jacques Pelletier, devient le premier condamné exécuté par cette machine qui n’a pas encore de nom définitif. Le public est curieux, fasciné, presque enthousiaste. Le spectacle attire les foules, signe que la fascination pour la mort publique n’a pas disparu avec la Révolution.
De la « louisette » à la « Veuve » : une machine devenue symbole politique, social et populaire
À l’origine, certains journalistes parlent de « louisette », en référence au docteur Louis. Mais la presse parlementaire, irritée par le ton paternaliste de Guillotin, lui attribue rapidement la paternité de l’instrument. Le nom « guillotine » s’impose, malgré les protestations du médecin, horrifié de voir son nom associé à une machine de mort.
Très vite, les surnoms se multiplient : le rasoir national, la Veuve, la raccourcisseuse, autant d’expressions qui montrent à quel point la machine occupe l’imaginaire populaire. Les magistrats, plus pudiques, préfèrent parler du « bois de justice », un euphémisme révélateur d’une époque qui cherche à civiliser la violence tout en la rendant plus efficace.
Sous la Grande Terreur, la guillotine tourne à plein régime. Entre 1793 et 1794, environ 17 000 personnes y passent, preuve que la révolution égalitaire s’est vite transformée en révolution punitive. Les files d’attente devant les échafauds deviennent le théâtre d’une France fracturée, fascinée par sa propre radicalité.
Et pourtant, malgré son côté glaçant, la machine reste populaire. Jusqu’au 29 juin 1939, date de la dernière exécution publique, les foules se pressent pour assister à ce qu’elles considèrent comme un spectacle national. Comme si la guillotine, devenue héritage de la Révolution, incarnait une forme de justice expéditive que certains estiment plus claire, plus lisible, moins laxiste que celle des temps modernes.
Diffusée par les armées révolutionnaires puis napoléoniennes, la machine s’exporte même au-delà des frontières. Certains Länder allemands, notamment en Bavière, l’utilisent jusqu’au milieu du XXe siècle, preuve que cet outil franco-français a profondément marqué les systèmes pénaux européens.


















