Deux chiffres claquent comme un uppercut : un PIB en chute de 15 % et une dette locale qui frôle les 200 milliards de francs. En Nouvelle-Calédonie, l’année 2024 n’a pas seulement été difficile : elle a révélé les limites d’un système public devenu dépendant de l’État.
Au point qu’au 31 décembre, la dette locale représentait 21,5 % du PIB : une alerte rouge que la Chambre territoriale des comptes détaille sans détour.
Une année noire pour l’économie calédonienne
Ce que la Chambre territoriale des comptes décrit est clair : 2024 restera comme l’une des années les plus sombres qu’ait connues l’économie calédonienne depuis une décennie. Entre l’effondrement du nickel, la mise en veille puis la fermeture de l’usine du Nord, et les émeutes du 13 mai, la machine économique a décroché brutalement. Le PIB s’effondre à 916 milliards après un recul historique. La production minière est coupée en deux, les exportations chutent de 93 %, le tourisme se vide et le chômage explose à +124 % par rapport à 2023.
Dans une telle tornade, la vie chère ne disparaît pas : elle s’installe. Malgré une inflation redescendue à 1 %, les prix alimentaires continuent leur envolée (+3,3 %). Les ménages serrent les dents, les entreprises suffoquent et les pouvoirs publics tendent la main. Pourtant, rien n’y fait : l’économie cale.
Et quand l’économie cale, la dépendance augmente. Celle envers l’État devient massive : 260 milliards de francs injectés en 2024, soit 28 % du PIB, entre sécurité, aides d’urgence, subventions et avances. Sans Paris, le territoire entrait en arrêt cardiaque budgétaire.
Des dépenses publiques instables et une épargne qui s’évapore
La situation financière du secteur public local se dégrade d’une manière qui n’a rien d’anodin. Si la dépense globale recule de 10 %, ce n’est pas grâce à une gestion vertueuse, mais parce que l’investissement s’est effondré de moitié, un niveau historiquement bas : seulement 38 milliards en 2024.
Les charges de fonctionnement, elles, continuent d’augmenter fortement (+6,4 %). Un effet ciseaux redoutable : recettes en recul, dépenses en hausse. L’épargne brute se liquéfie, passant de 31,3 à seulement 10,4 milliards en un an. Autrement dit : la marge de manœuvre disparaît.
Pour la Nouvelle-Calédonie seule, les charges réelles bondissent de 45 %, notamment à cause des dépenses exceptionnelles liées aux émeutes. À l’inverse, les provinces et les communes tentent tant bien que mal de serrer leurs budgets. Mais l’ensemble des collectivités affiche un besoin de financement de 14,24 milliards, malgré la baisse de l’investissement.
Et voici le nœud : l’endettement explose.
En seulement douze mois, l’encours augmente de 23 milliards, principalement via les nouveaux emprunts contractés pour faire face au choc social et sécuritaire de mai 2024.
Résultat : 197 milliards de dette au 31 décembre 2024, soit 21,5 % du PIB.
Un niveau qui devrait inquiéter tout responsable public attaché à l’intérêt général, à la discipline budgétaire et à la souveraineté financière.
Recettes fiscales en chute, protection sociale au bord de la rupture
Autre claque : les recettes fiscales et les cotisations sociales s’effondrent. La Chambre note une baisse globale de 12 % des prélèvements obligatoires, conséquence directe du recul économique.
Les recettes fiscales nettes perdent plus de 30 milliards en un an, et les cotisations chutent de 11 milliards. Le taux de prélèvements obligatoires tombe à 32,9 %. Autrement dit, la base taxable fond. Et quand la base fond, le modèle social s’asphyxie.
La situation de la protection sociale est édifiante :
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Tous les régimes de la CAFAT sont déficitaires, sauf les prestations familiales.
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Les dépenses publiques couvrent 20 % des recettes totales du système.
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Même avec les réformes engagées en 2023 et 2024, l’équilibre reste hors de portée.
Les chiffres sont indiscutables : le modèle actuel ne tient que sur des transferts massifs de l’État et une fuite en avant financière.
Une exécution budgétaire bouleversée et une crise qui s’étire en 2025
Le rapport montre que le budget 2024 n’a rien à voir avec ce qui avait été voté. Dépenses multipliées par deux pour soutenir la CAFAT, réorientation des recettes, dérapages liés aux crises successives : la trajectoire budgétaire a explosé en plein vol.
En province Sud, les dépenses réelles sont inférieures aux prévisions, signe d’une gestion plus disciplinée. Ailleurs, l’ajustement a été moins marqué.
Quant à 2025, la crise est toujours là. Les investissements publics sont 33 % en dessous des moyennes 2022–2023. Les recettes fiscales n’atteignent que 62 % de leur niveau habituel. Et ce manque est compensé par une hausse spectaculaire des dotations de l’État, multipliées par 1,62.
Autrement dit : sans Paris, le territoire n’équilibre plus rien.
Dans une ligne éditoriale lucide et assumée, il faut le dire clairement : un pays qui dépend à ce point des transferts nationaux renonce peu à peu à sa souveraineté financière.
Le rapport met en lumière un besoin urgent : restaurer une culture de responsabilité, réduire les dépenses structurelles, relancer l’économie réelle, combattre l’assistanat budgétaire qui étouffe la performance publique.
Le rapport de la Chambre territoriale des comptes n’est pas un document technique : c’est une alerte rouge.
L’économie s’affaisse, les recettes s’évaporent, la dette grimpe, la protection sociale sombre, et l’État compense… indéfiniment ?
La Calédonie doit se ressaisir.
Parce qu’une dette à 197 milliards, ce n’est pas un chiffre : c’est un signal.
Celui qu’une collectivité ne peut pas éternellement vivre au-dessus de ses moyens.


















