Dans un territoire en quête de sérieux budgétaire, certains organismes publics avancent sans jamais rendre de comptes. Et lorsque l’on parle de la Technopole, héritière directe d’une ADECAL défaillante, la question de l’efficacité réelle revient comme un boomerang.
Une réforme de rupture pour remettre de l’ordre
Il aura fallu attendre le 9 décembre pour que Samuel Hnepeune, membre du gouvernement chargé de la recherche, annonce officiellement ce que beaucoup demandaient depuis des années : le passage de l’ADECAL-Technopole au statut de GIP, plus contrôlé, plus transparent, plus exigeant. Un changement attendu, tant l’ancienne structure, créée en 1995 pour promouvoir l’économie calédonienne, s’était transformée au fil du temps en organisme tentaculaire, aux missions floues et aux résultats difficiles à mesurer.
Dès 2011, l’ambition affichée était claire : faire de l’innovation un levier majeur de diversification économique. Sur le papier, rien à redire. Dans les faits, l’agence a accumulé les retards, les doublons, les zones d’ombre. Loin d’être un moteur, elle est devenue un centre de coûts, financé à près de 70 % par de l’argent public, sans jamais démontrer une capacité à structurer de vraies filières productives.
La Technopole compte aujourd’hui 35 salariés répartis sur huit sites. Une présence territoriale importante, mais une efficacité qui interroge. Car si les pôles « mer » et « terre » ont mené certains travaux utiles préservation des tubercules, sélection apicole, tests variétaux, la visibilité économique reste limitée. Les secteurs privés, eux, réclament du concret, pas des expérimentations sans lendemain.
L’État, les provinces et la Nouvelle-Calédonie pourront désormais orienter les financements, contrôler la stratégie et exiger des résultats mesurables. Une révolution administrative qui acte, en creux, l’échec de la gouvernance précédente.
Une structure fragilisée par trente ans d’improvisation
Il suffit de relire le rapport sévère de la Chambre territoriale des comptes (CTC, mai 2024) pour comprendre l’ampleur des dérives. L’ADECAL a accumulé les missions sans jamais adapter ses statuts : commerce extérieur, innovation, agriculture, aquaculture, recherche… une house of cards sans cohérence. La CTC parle même de « missions mouvantes sans cap stratégique ».
Plus grave encore, la gouvernance a sombré dans un immobilisme inquiétant :
• conseil d’administration figé depuis 2019 ;
• assemblées générales irrégulières ;
• postes stratégiques laissés vacants ;
• rotation permanente des présidents ;
• agents dispersés sur 13 sites, générant des coûts de fonctionnement excessifs.
Autrement dit : beaucoup de dépenses, peu de résultats.
Dans le secteur marin, les professionnels ont fini par prendre leurs distances, allant jusqu’à créer leurs propres structures pour compenser l’inefficacité de l’agence. Une défiance rare, mais révélatrice.
Même les financeurs ont progressivement fermé le robinet : la part variable des subventions publiques s’est effondrée de 44 % en six ans, la province Sud prenant nettement ses distances. Une manière polie de dire que la confiance n’y était plus.
Dans ce contexte, le passage en GIP apparaît non seulement logique, mais indispensable. Avec l’obligation de publier des comptes, de mettre en place un contrôle interne sérieux et de suivre une feuille de route triennale, la Technopole ne pourra plus avancer en roue libre. Les contributeurs publics État, provinces, gouvernement exigeront de la rigueur, enfin.
Des ambitions assumées mais un financement à clarifier
Malgré la lourde inertie héritée de l’ADECAL, la nouvelle Technopole veut se redéfinir. Le discours est clair : moins de dispersion, plus de pragmatisme. Les priorités annoncées pour 2026-2028 confirment cette volonté : pratiques culturales modernisées, aquaculture durable, valorisation des ressources marines et terrestres, outils d’aide à la décision, accompagnement des start-up.
L’objectif reste noble : renforcer l’autonomie alimentaire, lutter contre le changement climatique, soutenir les filières bleues et vertes. Mais il faudra le faire avec moins : budget en baisse, ressources limitées, attentes économiques plus fortes.
Les partenariats OCEF, IAC, IRD, IFREMER, acteurs privés, start-up sont réels et parfois fructueux. Les résultats existent : 2 047 ouvertures de ruches, 180 reines fécondées, 410 variétés de tubercules conservées, 18 000 alevins produits, 28 campagnes de pêche analysées. Mais ces chiffres, aussi utiles soient-ils, ne suffisent plus à masquer la question centrale : à quoi sert réellement la Technopole pour le développement économique du territoire ?
Car le rapport de la CTC, lui, ne laisse aucune ambiguïté. Sans stratégie claire, sans pilotage rigoureux, sans financement sécurisé, la structure fonce droit dans un mur. D’où cette interrogation que chacun pose désormais sans tabou : la Nouvelle-Calédonie a-t-elle encore les moyens d’entretenir des usines à gaz bureaucratiques ?
En juillet 2024, le gouvernement Ponga a injecté 128 millions de francs CFP dans l’ADECAL. Un effort considérable pour une agence dont le bilan est, au mieux, mitigé. Dans un pays contraint de chercher des économies partout, la question n’est plus idéologique : elle est pratique, budgétaire, urgente.
Faut-il continuer à financer une structure aux performances discutables ou recentrer l’argent public sur des priorités plus essentielles ?


















