Le commerce en ligne explose, les risques aussi. Derrière les promotions agressives et les livraisons express, une réalité s’impose : les consommateurs français sont devenus une cible.
Et alors que la France avance vers un modèle économique ultra-numérisé, la Cour des comptes tire la sonnette d’alarme : le pays doit reprendre le contrôle.
Un tsunami numérique qui fragilise les consommateurs
Le numérique a transformé les habitudes françaises en une décennie. 94 % des Français utilisent internet, 77 % achètent en ligne, contre 7 % seulement en 2001, et près d’un sur deux commande tous les mois. Cette bascule fait du commerce en ligne un pilier économique, mais aussi un terrain fertile pour les dérives.
La Cour des comptes observe une explosion des flux postaux internationaux, notamment en provenance de plateformes étrangères capables d’inonder le marché de millions d’articles à bas coût chaque jour. Résultat : les douanes sont saturées, les contrôles insuffisants, et des produits non conformes ou dangereux pénètrent le marché français.
Le rapport insiste : le consommateur, déjà écrasé par l’inflation et l’instabilité économique, ne devrait pas être la variable d’ajustement d’un système devenu incontrôlable.
Les faux avis, les comparateurs biaisés, les promotions mensongères, les influenceurs mal encadrés, les collectes de données opaques ou encore les arnaques sophistiquées se multiplient. En 2023, 38 % des escroqueries enregistrées par la police et la gendarmerie utilisaient le numérique.
La France manque aujourd’hui d’une stratégie unifiée, et les consommateurs sont livrés à eux-mêmes dans une jungle numérique où tout va trop vite, trop loin, trop fort.
Pour la Cour, ce déséquilibre crée une situation critique : un marché libre ne peut fonctionner que si les règles sont respectées et si l’État assure un minimum de sécurité économique, condition indispensable à la confiance et donc à la croissance.
Une DGCCRF encore organisée pour le monde d’hier
La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes est censée être le rempart des consommateurs. Mais sa structure actuelle reste pensée pour un commerce traditionnel, territorial, lent.
Or, les plateformes étrangères, elles, n’ont ni départements, ni frontières, ni horaires.
La Cour note que la DGCCRF a bien développé des outils modernes comme Polygraphe (analyse automatisée d’avis en ligne) ou Ours (investigation sur les réseaux sociaux), mais ces outils restent limités face à la puissance technologique des géants du numérique.
Les enquêtes restent trop longues, les sanctions trop lentes, les procédures trop rigides.
De plus, la coopération entre la DGCCRF et les douanes demeure insuffisante, alors même que 95 % du fret postal passe par Roissy, saturé par 500 000 colis par jour.
La Cour appelle clairement à une réorganisation totale :
– structure modernisée
– pouvoirs accrus
– contrôles renforcés
– coordination avec les douanes et régulateurs sectoriels
– pilotage stratégique clair
Sans cette mutation, l’État restera en retard, et les entreprises étrangères continueront d’exploiter les failles d’un système trop lent pour elles.
Dans une vision assumée, le rapport souligne que la protection économique doit redevenir un outil de souveraineté française, et non un simple service administratif.
Reprendre la main : l’État doit passer à l’offensive numérique
Le rapport ne se contente pas de dresser un constat sévère : il propose une ligne offensive.
Parmi les priorités immédiates :
– déployer le filtre anti-arnaques, prévu par la loi SREN mais toujours absent
– unifier les plateformes de signalement des consommateurs
– ouvrir davantage les données publiques sur les contrôles et les sanctions
– renforcer les moyens techniques des autorités
– moderniser l’information grand public après l’arrêt de « 60 millions de consommateurs »
Cette stratégie vise à redonner du pouvoir aux consommateurs, mais surtout à rétablir une forme d’ordre sur un marché devenu trop asymétrique.
Une économie numérique forte ne peut exister sans sécurité, transparence, responsabilité et règles appliquées sans faiblesse.
La Cour envoie un message clair : la France doit protéger ses citoyens, ses entreprises loyales et son marché intérieur des dérives importées de plateformes étrangères ou d’acteurs opportunistes.
Dans une époque où chacun achète, commande, compare ou consulte en ligne, la protection du consommateur devient un enjeu politique majeur, un enjeu de souveraineté, et même un enjeu social.
Il ne s’agit pas de freiner le progrès, mais de garantir que le progrès ne se fasse ni contre les Français, ni contre le principe le plus simple d’un marché équitable : celui qui respecte les règles doit être protégé de celui qui triche.
Et c’est précisément cette ligne que la Cour des comptes demande à l’État de tenir sans trembler.

















